#Roman francophone

Colomb de la lune

René Barjavel

Le héros de ce roman s'appelle Colomb : tout un symbole. Il sera le premier homme à se poser sur la Lune. Reste à en revenir. A la condition que, là-haut, rien ne vous retienne.... Et, surtout il y a l'aventure terrestre de sa femme. Une aventure sans doute plus dangereuse que la conquête des étoiles. Cela se nomme l'amour... Féroce et tendre, pervers et poétique, un grand BarjaveL.

Par René Barjavel
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature française (poches)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La police fit sortir les journalistes et établit un cordon autour de la villa. Blanche et bleue avec ses tuiles roses au sommet de la colline verte, elle avait l'air d'une maquette pour lotissement de luxe. Deux cent cinquante policiers en uniforme ceinturèrent la colline et un véhicule à sirène et phares rouges s'installa en travers de l'allée.

La femme de Colomb se trouva enfin seule avec sa mère dans le salon aux meubles bousculés. Ils avaient réussi à renverser la table basse en dalle de verre noir, aux pieds de fer forgé noirs, dorés sur la tranche et dans les contours. Les poissons figés qui étalaient dans l'épaisseur de la dalle des nageoires de voile rose parmi des algues jaunes, se trouvaient maintenant à la verticale, et un des pieds forgés avait troué la moquette couleur tabac de Virginie.

– Ces journalistes ! dit la mère de la femme de Colomb.

Elle soupira d'un air excédé, mais elle n'était pas si mécontente.

Cette femme, la mère de la femme de Colomb, il faut que vous la connaissiez mieux. Voici : elle est riche, veuve, petite, mince et myope. Elle s'occupe de tout et ne fait rien. Son mari est mort d'un cancer, en souriant à la pensée de ne plus la voir, de ne plus l'entendre. Il lui a laissé des usines et des administrateurs qui continuent à fabriquer sans lui du savon, de la margarine et de l'argent avec les mêmes matières premières. C'est elle qui a meublé la villa des jeunes époux. Colomb n'a rien eu à dire. Il est pauvre. Sa femme n'a rien dit. Ces meubles-là ou d'autres, cela lui est indifférent. Elle ne s'est jamais demandé, à propos de rien, si c'est beau, si c'est laid. Ce problème lui est tout à fait étranger.

La mère de la femme de Colomb se nomme Mme Anoue. Elle porte le deuil de son mari avec une chère élégance. Rien que du noir. C'est un brin de femme. Des hanches et une poitrine de séminariste janséniste, des talons aiguille pour parvenir jusqu'à un mètre soixante, des cheveux noirs depuis qu'elle est en deuil, de grands yeux noirs qui au-delà de dix centimètres ne voient que du brouillard. Elle les tient écarquillés par discipline, car elle aurait tendance à plisser les paupières pour essayer vainement d'y voir plus clair. Il ne faut pas, à cause des rides.

Elle choisit ses robes presque sans les voir, ses chapeaux au toucher du bout des doigts, à la silhouette dans la fumée d'une glace, ses bijoux au prix et au poids. Sans fesses ni seins, rectangulaire, petite, elle réussit à se donner une apparence exquisement féminine. L'ensemble est toujours parfait, surprenant, juste du bon côté à la limite de l'extravagant et du réussi. C'est l'instinct de la femme.

Pour le reste, elle réfléchit.

Elle a meublé la maison de sa fille en fronçant les sourcils, regardant chaque meuble qu'on lui proposait à travers ses grandes lunettes d'or, hésitant longuement entre deux horreurs avant de se décider pour la plus laide. La table aux poissons lui a beaucoup plu. C'est le genre d'objet qu'elle peut comprendre et aimer.

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01/06/1977 186 pages 7,00 €
Scannez le code barre 9782070369553
9782070369553
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