#Roman francophone

La première pierre

Pierre Jourde

"Dans ces terres reculées, dans ces pays perdus, on vit toujours plus ou moins dans une légende, dans l'image d'un chapiteau roman historié de scènes naïves et cruelles..." Pierre Jourde revient sur des événements qui en 2005 ont défrayé la chronique. Lors de la parution d'un de ses livres, Pays perdu, une partie des habitants du village d'Auvergne dont il était question dans le récit s'est livrée à une tentative de lynchage de l'auteur et de sa famille. Pierre Jourde y décrivait la rudesse de la vie dans ce hameau lointain dont il est originaire, mais aussi une fraternité archaïque, solide, des relations humaines à la fois brutales et profondes, tout cela raconté à l'occasion de la mort d'un enfant. Célébration d'un village aimé, le livre y a été reçu par certains comme une offense. La première pierre retrace les événements violents qui ont suivi la parution de Pays perdu, et propose l'analyse passionnante de leurs causes. Il offre aussi une magnifique démonstration des puissances de la littérature, en même temps qu'un récit vibrant d'émotion et d'admiration pour ces contrées et ces gens qui vivent dans un temps différent de celui des villes.

Par Pierre Jourde
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature française

 

 

 

 

J’ai compris le midi, l’Allemagne, le désert. Je ne comprendrai jamais ces villages auvergnats qu’on voit perchés sur la montagne dans le vent et les hivers qui en ont blanchi l’église à la façon d’un os de seiche. Ils laissent toujours sur un tourment.

ALEXANDRE VIALATTE, L’Auvergne absolue

 

Tel quel il me comble puisqu’il m’enchante depuis toujours avec ses riens ou ses misères comme avec ses légendes, m’absorbe quand j’y reviens, m’obsède tant il me visite ou me manque au loin chaque matin.

BERNARD JANNIN, Pays éperdu

 

 

 

 

Perché encore plus haut que Laurie. Continuer la route en lacet, qui va vous permettre de découvrir un panorama de plus en plus ouvert. Vous n’y rencontrerez guère de touristes. La route s’achève d’ailleurs en cul de sac à Lussaud, village auvergnat tout à fait traditionnel et quasi hors du temps. Rues en terre et pierraille, bâtisses solides et trapues, toits descendant parfois presque jusqu’au sol, pignons en escalier. Basse-cour et chiens baguenaudant librement dans les ruelles vierges de trafic automobile. Ici, on vit encore totalement au rythme des saisons. Au centre, la mignonne église Sainte-Madeleine, de style roman tardif.

Le Guide du routard

 

 

 

 

I

 

 

Surtout, tu ne cognes pas. C’est ce que ta mère t’avait dit : si on t’agresse, tu ne réponds pas. Ensuite, tu vas déposer plainte à la gendarmerie. Et Sophie, pour autant qu’est possible la mémoire de ce qui s’est passé, car la violence d’un événement a cet effet de recomposer ce qui l’a précédé, de redistribuer l’oubli et le souvenir, avait glissé, en termes moins impératifs, un conseil identique. Surtout, en cas de rixe, ne pas frapper.

Un livre avait été écrit : Pays perdu. Un livre qui serait difficile, même pour quelqu’un qui a pratiqué la théorie de la littérature, à définir en termes de genre. Le narrateur emploie la première personne, mais il ne se trouve pas au centre du récit. Au centre du récit, il y a le pays, et ceux qui y vivent. Celui qui raconte reste un personnage secondaire. Il y est question en passant de l’histoire de sa famille, de l’héritage d’un vieux cousin. Mais il s’agit avant tout de rapporter les obsèques d’une adolescente, la fille d’amis paysans.

Il avait fallu un an au livre pour arriver jusqu’au village. Publié en 2003, il avait suivi son chemin lentement, mais il était arrivé, à l’été 2004, un peu comme tout a fini par arriver là-haut, avec un peu de retard, et pas partout, l’eau courante, le téléphone, les salles de bains, le chauffage central. Il était arrivé. Juste quelques jours après votre départ, à la fin d’un séjour de vacances, au mois d’août.

Tu n’aurais pas cru qu’il pût parcourir une aussi longue route. Il n’y avait pas beaucoup de livres dans le pays. La seule à lire assidûment était Berthe, la mère de notre fermier, seule dans son hameau de Bessèges, au fond du val dévoré d’arbres. Elle en réclamait, et tu lui en apportais, mais sa vraie passion, c’étaient les vieux livres d’aventures, Jules Verne surtout. Peut-être poussait-elle la modernité jusqu’à Jean Anglade. Mais pour la plupart, La Montagne assurait l’essentiel de la lecture, avec le bulletin de la paroisse. Alors un écrivain peu connu, publié chez un éditeur confidentiel...

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05/09/2013 189 pages 17,90 €
Scannez le code barre 9782070142156
9782070142156
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