1.
Sabrina
Ma mère est passée me chercher à la sortie de l’école d’esthétique. J’ai d’abord entendu ses talons aiguilles claquer sur le trottoir. J’ai levé la tête pour la regarder s’avancer vers moi. Elle portait son manteau de cuir noir le col relevé, ses cheveux blonds sautillaient sur ses épaules. Quand elle m’a aperçue, elle m’a fait un signe de la main. Elle s’est approchée et m’a demandé : « Tu l’as eu ? » J’ai hoché la tête. Elle m’a serrée contre elle. Son sourire s’est un peu affaissé quand elle a vu ma note sur le panneau d’affichage, mais elle n’a rien dit.
Nous sommes allées dans une brasserie où elle a commandé deux coupes de champagne. Son visage rayonnait. Je l’avais rarement vue aussi heureuse. Elle m’a dit qu’elle était très contente, très fière de moi, qu’il n’était pas si facile de devenir esthéticienne, que j’avais beaucoup travaillé. J’ai répondu que c’était vrai. J’étais gênée. Je n’étais pas sûre de mériter tous ces compliments. Ma mère a continué de parler en remuant les mains. Je n’ai bientôt plus fait attention à ce qu’elle disait. J’ai même fini par tourner la tête pour regarder la rue. Quelques minutes plus tard, le serveur a apporté le champagne. Il avait rempli une tasse à café de petits chocolats en forme de cœur qu’il a presque jetée sur la table. Nous avons trinqué. J’ai croqué un chocolat. Ensuite ma mère a sorti la clé.
C’était une petite clé argentée autour de laquelle elle avait noué un ruban rose en guise de papier cadeau. J’ai d’abord pensé qu’elle m’avait acheté une voiture, mais la forme de la clé m’en a dissuadée. J’ai avancé la main, j’ai senti le métal froid de la clé au bout de mes doigts, attendant que ma mère me donne une explication. Elle ne disait plus rien. Ses lèvres tremblaient légèrement. Quand elle a repris la parole, j’ai vu qu’elle s’appliquait, qu’elle s’efforçait de bien choisir ses mots. J’ai compris que le moment était important : je me suis redressée sur ma chaise.
Elle avait envie que j’aie un avenir, elle ne voulait pas que je sois une employée qu’on ferait trimer pour un salaire de misère, elle avait de l’ambition pour moi, elle me sentait capable, elle était en mesure de me donner un coup de pouce pour m’aider à démarrer. Un coup de pouce ? Je me suis penchée en avant pour mieux entendre la suite. J’avais vingt-deux ans, je venais d’obtenir mon diplôme d’esthéticienne et ma mère m’offrait mon propre institut de beauté. J’ai senti mon ventre se tordre. J’ai répété plusieurs fois « Un institut ? » d’une voix blanche sans quitter la clé des yeux. J’avais imaginé toutes sortes de cadeaux, mais certainement pas cela.
Ma mère s’est tue, elle a bu un peu de champagne, le regard flou. Elle semblait tellement déçue de ma réaction que j’ai essayé d’avoir l’air heureuse. Je l’ai embrassée par-dessus la table pour la remercier. Elle a posé sa main sur la mienne, elle a promis qu’elle allait m’aider, qu’Alexandre allait m’aider, que bien sûr je ne serais pas seule pour prendre les décisions importantes, que c’était une merveilleuse opportunité pour moi. J’ai immédiatement songé qu’il me faudrait renoncer à postuler chez C., près des Champs-Élysées, où nous rêvions toutes d’être embauchées. Puis j’ai imaginé Alexandre, mon beau-père, dans un institut de beauté et je me suis dit qu’il allait faire fuir les clientes. J’ai ri nerveusement. J’ai avalé plusieurs gorgées de champagne jusqu’à ce que l’alcool commence à me monter à la tête.
Extraits
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