Gunflint, années 1990. Dans cette petite ville du Minnesota sauvage où les rivières deviennent lacs et les lacs rivières (et l'Amérique le Canada), le vieux Harry Eide fugue, désertant son lit de mort pour la forêt profonde. On ne le retrouvera pas. Les deux êtres qui l'ont le plus aimé - Gus, son fils, et Berit, son grand amour longtemps resté en lisière de sa vie - se racontent cet homme qui gouverna leur monde tout en leur échappant. Ainsi s'ouvre entre ces deux coeurs en hiver le récit partagé des mois fondateurs, de l'été à l'hiver 1963, où Harry embarqua son fils, alors âgé de dix-sept ans, dans une excursion à la manière des pionniers voyageurs, en canoë, pour aller tutoyer la frontière, "passer l'hiver" dans les confins, expérience d'isolement extrême et de transmission silencieuse. C'est en se construisant dans un jeu de relais entre Gus et Berit que le roman des Eide, famille récidiviste du déchirement et de la rupture, révèle son enjeu : la cohésion de toute une communauté, avec ses faibles et son vrai méchant, ses sales secrets et ses luttes de pouvoir, ses ennemis héréditaires. Et parmi tous ces hommes, droite comme un phare, il y a Berit, à la détermination aussi discrète qu'indéfectible, qui semble d'abord incarner le renoncement et qui s'impose comme un inoubliable personnage de femme d'une force aussi humble que poignante. Véritable miracle modeste, placé sous le règne implacable de la nature, souple, fluide, silencieux comme une balade en kayak, L'Homme de l'hiver est un roman d'aventure intérieure qui démontre que l'expression "amour impossible" est un oxymore.
Par
Anne Rabinovitch, Peter Geye Chez
Actes Sud Editions
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