AVANT-PROPOS
Dans ce livre, deux voix se complètent et se répondent. Celle de Pierre Bellemare, bien sûr. Je pensais bien le connaître. J’ai eu la chance, en effet, de partager à ses côtés, pendant plus de trente-cinq ans, quantité d’aventures télévisuelles et éditoriales. Pour autant, au cours d’une centaine d’heures d’entretien, Pierre s’est livré comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Et nombre de souvenirs, d’anecdotes et de réflexions concernant sa vie privée et professionnelle furent pour moi des révélations. Ainsi, je pense que derrière l’image de l’homme public qu’ils connaissent bien, les lecteurs découvriront à leur tour mille facettes surprenantes et insoupçonnées de sa
personnalité.
L’autre voix, qui apparaît dans le livre en italique, est celle des membres de sa famille et de quelques-uns de ses amis et collaborateurs. J’y ai ajouté des informations qui permettent de remettre en perspective la petite histoire de la radio et de la télévision au cours du demi-siècle écoulé.
Jérôme Equer
1
LE MONSTRE DE LA BANQUISE
Le petit garçon rêve qu’il est perdu sur la banquise. Seul, transi et terrifié. Il fuit un monstre qui le poursuit en lui lançant des blocs de glace. L’enfant se réveille en sursaut. Sa grand-tante, auprès de laquelle il est blotti dans un lit étroit, le réconforte tendrement :
Tout va bien, mon cœur. Tout va bien, je suis là. Rendors-toi et n’aie plus peur.
Le garçonnet se tasse en boule au creux de la chaleur. Pour faire barrage à l’affreuse vision, il enfouit la tête dans l’oreiller.
Ce cauchemar est le premier souvenir que je garde en mémoire, nous dit Pierre Bellemare. Ces images de monstre et de banquise m’avaient sans doute été inspirées par une gravure, que j’aurais vue dans un livre de Jules Verne.
Hiver 1935. Dans le grand appartement que la famille Bellemare occupe boulevard Saint-Jacques, à Paris, l’atmosphère est devenue irrespirable. Les parents évitent de croiser le regard de leurs enfants et se parlent à voix basse. Durant les repas pris en silence, chacun est en alerte, l’oreille tendue en direction de la chambre dans laquelle Christiane est alitée. L’horrible toux qui déchire ses poumons va-t-elle enfin s’apaiser ?
Christiane, ma seconde sœur, de huit ans mon aînée, avait contracté une phtisie galopante. Accablés de chagrin, mes parents la savaient condamnée. Pénicilline et antibiotiques n’existant pas à l’époque, la tuberculose pulmonaire était inguérissable. Dans le but de nous éloigner de la maison et de nous protéger de l’infection, mes parents nous expédièrent, Jacqueline, ma sœur aînée, et moi, chez notre grand-tante qui habitait Montmartre. Bien que trop jeune pour comprendre la nature du drame qui s’abattait sur la famille, je me souviens avoir vécu cet événement dans une sorte de brouillard chargé de menaces.
Très tôt le lendemain, les traits défaits, M. Bellemare se présente rue Lamarck. Il échange quelques mots dans l’entrée avec sa tante, puis s’adresse aux enfants, sans prendre le temps de se défaire de son manteau.
Extraits
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