Je commence par la veille.
Le 10 mars 2011
J’achève un échantillon de traduction du livre d’Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne. Je ne suis pas mécontente du résultat.
Le 11 mars
Vers minuit, j’ai une conversation téléphonique avec Jun’ichi, un ami japonais dont je viens de relire une traduction. Brève séance de travail. Il me demande si j’accepterais de lui rapporter un foulard Hermès pour sa compagne quand je viendrai au Japon début avril. On ne trouve pas ce modèle ici, je te rembourserai. J’accepte, bien sûr. Je lui demande de m’envoyer une photo et le nom du modèle.
Vers huit heures du matin, j’allume mon ordinateur. Je trouve un mail de cet ami, avec la photo du carré Hermès, Pégase. Je consulte en même temps, comme d’habitude, le Facebook japonais. Les commentaires parlent d’une grosse secousse sismique. « Dis donc, ça a secoué aujourd’hui ! » « Toutes mes bibliothèques se sont renversées, il va m’en falloir, du temps, pour ranger tout ça. » Une secousse forte, certes, comme on en a deux ou trois fois par an, mais rien d’alarmant. Je vais tout de même appeler mes parents pour prendre des nouvelles. Je suis sûre qu’ils vont me rassurer, sans doute même plaisanter sur ce qui vient de se passer.
Ça ne répond pas. Ils sont sans doute sortis. J’appelle sur leurs portables respectifs. Pas de réponse. Cela m’agace un peu ; ma mère a la fâcheuse habitude d’oublier d’activer sa boîte vocale, et elle ne répond pas toujours sur son portable. Mon père doit être encore au travail.
Je rappelle ma mère. C’est impossible, une telle inattention ; comme je lui dis toujours, si tu oublies d’activer ta messagerie, je ne pourrai pas te laisser de message, au cas où.
Je n’avais pas encore compris que ce jour-là, c’était justement l’au-cas-où. J’appelle en continu pendant une demi-heure, sans succès. Chez mon frère non plus. Je commence à m’inquiéter. Je leur écris un mail collectif. Je comprends enfin que si ça ne répond pas, ce n’est pas que ma mère a égaré son portable mais que la ligne est saturée.
Un appel. Je décroche. Un ami français.
« Je suis devant la télé, il me dit, les tsunamis sont impressionnants… » Là, je m’emporte.
C’est plus fort que moi, brusquement, je lui coupe la parole : « Impressionnants ou pas, je m’en fous ! Pour nous, ce n’est pas une image, c’est la réalité qui nous tombe sur la tête ! » Pourtant, au moment où je dis cela, dans la distance, ce ne doit pas être pour moi autre chose qu’une image. Habitude de ces images. Mais à cet instant, je ne prends pas la mesure de la gravité de la situation.
L’impossibilité de joindre ma famille, sans doute, m’a fait sortir de mes gonds. Peut-être aussi ai-je dramatisé un peu parce que je m’adressais à un étranger. Il ne doit pas avoir beaucoup d’expérience des catastrophes. Tentation de prendre le dessus en la matière. Pourtant il n’y a pas de quoi être fière. Les informations que je possédais à ce moment-là rappelaient des catastrophes que l’on a pu connaître par le passé. Graves, certes ; mais on en a connu de graves aussi.
Extraits
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