PREMIÈRE PARTIE
1
Ma fille a épousé un Indien navajo. Elle m’a annoncé la nouvelle un soir d’avril 2006. Elle connaissait Scott depuis neuf mois, l’avait rencontré à l’université et viendrait passer trois semaines avec lui en France durant les vacances d’été. Si je voulais savoir, avant cela, à quoi ressemblait mon gendre, je pouvais regarder Sunchaser de Michael Cimino où il avait joué, une dizaine d’années auparavant, l’un des sept cavaliers accompagnant le troupeau de mustangs croisé par les héros un peu avant la fin du film, l’Indien qui parle, a-t-elle précisé. Puis elle a raccroché. Il était midi au Colorado, vingt heures à ma montre. J’ai loué le DVD le soir même.
Il faut, avant d’apercevoir les mustangs dans le lointain, suivre pendant quatre-vingt-sept minutes les aventures d’un jeune repris de justice en cavale atteint d’un cancer et du médecin qu’il a pris en otage dans un hôpital de Los Angeles pour le conduire, au volant d’une Cadillac volée, jusqu’en Arizona, au bord d’un lac sacré dans lequel s’immerger, espère-t-il, lui apportera la guérison.
C’est pour éviter un barrage de police que le conducteur de la Cadillac quitte la route, prend le sillage, à travers la plaine brûlée de soleil et dans un nuage de poussière, des sept cavaliers et du troupeau de mustangs. L’étrange équipage s’immobilise une minute plus tard au sommet d’un plateau de terre ocre. L’un des cavaliers s’approche de la voiture. Il monte à cru un cheval beige, porte un ensemble en jean, débardeur et pantalon. Ses cheveux sont d’un noir profond, très longs et noués par un catogan. Alors qu’il échange quelques phrases en navajo avec le passager, on voit pendant quelques secondes son visage en gros plan. Ses traits sont fins, son front large, ses yeux en amande et foncés, ses pommettes légèrement saillantes, son cou orné d’un collier de turquoise. Il sourit.
Même sourire, mais légèrement ironique dans le plan suivant, quand le conducteur descendu de voiture entreprend de lui expliquer, dans un anglais volontairement rudimentaire, son intention, pour échapper au barrage de police, de rouler dans une saignée de la plaine que l’on voit en arrière-plan, la Cadillac fondue au milieu du troupeau de mustangs, explication laborieuse qu’interrompt Indien qui parle pour demander à l’homme, dans un anglais parfait, ce qu’il veut dire exactement.
Il apparaît encore à quatre reprises, les deux premières, en plan rapproché, de profil, la troisième de dos, en plan large, chevauchant en tête du troupeau de mustangs et des cavaliers vers quatre monolithes de grès rouge, au son d’une musique de western et sous le grand ciel bleu. Dans la quatrième et dernière scène il est filmé en contre-plongée, à travers le pare-brise de la Cadillac, couché sur l’encolure de son cheval, le visage tourné vers le chauffeur qu’il félicite de si bien conduire « for a white man ».
Extraits
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