Depuis sa parution, le rapport de la députée européenne Julia Reda attise les commentaires. Loin d'être acclamé par les membres du Parti pirate suédois – pas vraiment connus pour leur tempérance –, le document avive les critiques formulées de toutes parts. Le Syndicat national de l'édition fut parmi les premiers à dégainer : « En suivant les propositions du rapport Reda, l'Europe détruirait la culture qu'elle cherche à diffuser. Le SNE [y est] totalement opposé. » Les auteurs n'ont pas tardé à suivre le mouvement, mais le Conseil permanent fait plus que simplement dénoncer un document qualifié de meurtrier par le SNAC.
Le 30/01/2015 à 09:56 par Nicolas Gary
Publié le :
30/01/2015 à 09:56
(Dennis Skley, CC BY-ND 2.0)
Rappelons quelques-uns des éléments d'un rapport qui, à la première lecture, semble pourtant conçu pour recueillir l'adhésion. On trouve des éléments portant sur les mesures techniques de protection, la diminution de la durée de protection du droit d'auteur ou encore des éléments portant sur les exceptions pédagogiques, et visant à élargir le champ de ces dernières.
A-pertinent, ou Im-pertinent ?
Dans l'environnement numérique, les bibliothèques et les autres institutions culturelles « ont de plus en plus de mal à remplir leur mission d'éducation auprès du public et de préservation des œuvres ». À ce titre, la directive InfoSco « s'est avérée insuffisante », pour autoriser le prêt de livres numériques, un acte qui « a des effets positifs sur les ventes, car elle contribue à une culture de la lecture ». Les établissements devraient être autorisés à acheter des titres, individuellement, et les mettre en prêt.
Adobe, et ses fameux DRM sont également en ligne de mire : les mesures techniques de protection devraient fournir un code source, pour garantir une interopérabilité totale. Et tout particulièrement dans les cas où le contournement de MTP est autorisé. Et fait particulièrement important actuellement, l'exception accordée aux caricatures, parodies et pastiches, s'appliquerait, peu importe la finalité visée par la création.
Globalement, l'eurodéputée demande à ce que le système de droit d'auteur soit commun, pour protéger les droits fondamentaux, et simplifie la création de services internet innovants. Pour ce faire, il faudra en passer par une meilleure position des auteurs et artistes, dans leurs négociations avec les détenteurs de droits et autres intermédiaires.
L'optimisation fiscale, enjeu marchand considérable
Pour le vice-président du Conseil Permanent des Écrivains, Hervé Rony, le rapport présente un défaut cruel, en ne répondant pas « aux questions qui se posent en Europe dans le secteur de la création et des industries culturelles». Et ses conclusions ne poseraient alors pas « pour les auteurs de l'écrit et des arts visuels, une base de travail pertinente ».
Le CPE considère par ailleurs, que, si la politique des autorités européennes passe par une remise en cause du droit d'auteur, on néglige par trop un pan entier du cadre juridique : celui des questions fiscales. Or, ActuaLitté l'avait déjà annoncé, la riposte aux modifications voulues par la Commission européenne au droit d'auteur passera chez les acteurs de la culture, par une parade en bonne et due forme.
On reconnait que l'harmonisation du droit d'auteur en Europe représente un sujet d'ampleur, mais le CPE dénonce avant tout les modèles d'optimisation fiscale «permettent à des acteurs extra européens de contourner les règles auxquelles sont soumis leurs concurrents directs ». Et d'ajouter : « Il en est de même du refus inacceptable de remettre en question le statut de certains intermédiaires dont la quasi-irresponsabilité rend impossible une action efficace contre la présence illégale d'œuvres sur internet.»
Pas besoin de faire un dessin : les sociétés américaines sont pointées du doigt, pour leurs pirouettes savantes qu'autorisent les politiques économiques d'États tels que le Luxembourg, l'Irlande, ou encore les Pays-Bas ou l'île de Malte.
Verrous numériques, territorialité : les écueils
Le CPE insiste d'ailleurs sur le fait que la territoritorialité, ou les mesures techniques de protections, « rendant inaccessibles les œuvres», ne tirent pas leur origine du droit d'auteur. Gentiment inexact. Et à plus d'un titre : d'abord, le contrat d'édition autorise l'éditeur à introduire des DRM dans ses fichiers numériques, au nom de la protection du droit d'auteur. Quand ce point sera définitivement balayé, peut-être pourra-t-on discuter.
La question de la territorialité ne relève pas, nous précise-t-on, du droit d'auteur confié à l'éditeur, mais d'un accord commercial. Toutefois, le SNE est clair sur ce point : la territorialité est un point qui relève du droit d'auteur. Étant cessionnaires de l'ensemble des droits, c'est par un effet de restriction technique que les éditeurs limitent la libre commercialisation des œuvres. « Il ne faut pas casser le droit d'auteur pour corriger cela, mais plutôt contraindre les éditeurs à ouvrir ces ventes », nous indique-t-on.
La territorialité pose un évident problème, notamment pour les libraires, ainsi qu'ActuaLitté l'a plusieurs fois pointé.
Il existe trois niveaux d'habilitation pour la vente de fichiers numériques, accordées par les éditeurs :
— le niveau national
— le territoire européen
— le monde entier
Bien entendu, les fournisseurs imposent des clauses de confidentialité particulièrement strictes sur ces habilitations, et les libraires s'y reprennent à deux fois avant de les enfreindre. En outre, une seconde limitation intervient : la caractérisation du client auquel le libraire peut proposer son offre. D'un côté, nous avons le marché B to B, où les clients sont des libraires (et à l'avenir, souhaitons-le, des bibliothèques), l'autre, le B to C, où c'est le consommateur qui est seul autorisé.
Le problème de la territorialité, on le comprend aisément, réside dans le fait que le détaillant n'est donc pas autorisé à proposer son offre sur des territoires autres que ceux prédéfinis. Une pareille interdiction nuit bien entendu au libre commerce, au sein du territoire européen, et récemment une étude a pu évaluer le pourcentage de livres français disponibles sur les territoires étrangers.
L'Outre-mer, victime d'un souci technique : essayez le PCV (ou PVC)
De même, il est à peu près impossible pour un client français résidant en Angleterre de se procurer un livre numérique. Alors que, paradoxalement, le client britannique pourra sans peine passer par la plateforme locale d'Amazon, pour se procurer s'il le souhaite une offre ebook de titres en français.
Et plus bêtement encore, dans le cadre du respect du droit d'auteur et de la territorialité, les opérateurs comme Fnac se trouvent dans l'impossibilité, prétextant des conditions techniques, de vendre des ebooks en Guadeloupe, Martinique et autres départements ultra-marins.
« On n'explique pas ouvertement que c'est la territorialité qui pose problème : on évoque auprès des consommateurs, français, que l'enseigne a rencontré des problèmes avec des comptes par le passé, et que désormais il n'est plus possible de créer de compte. Un procédé dilatoire, pour simplement gagner du temps avec le client, sans le froisser », nous assurait le député Bruno Nestor Azerot de Martinique (gauche démocrate et républicaine).
La ministre de la Culture de l'époque, Aurélie Filippetti, était frappée de langue de bois exotique, en affirmant : « Des obstacles d'ordre technique ont été identifiés concernant le téléchargement de livres numériques dans les départements et collectivités d'outre-mer. Ils résultent en grande partie de difficultés rencontrées par les libraires numériques métropolitains pour localiser les acheteurs situés outre-mer. »
Faire sauter les barrières ou sauter la barrière ?
Contrairement à ce que le SNAC revendiquait dans un précédent communiqué, il faudra donc accepter que la circulation des œuvres en numérique, passe par un mouvement qui fasse bel et bien « sauter les barrières ». Et notamment celle de la territorialité. La question reste : les auteurs ont-ils simplement conscience de ces enjeux commerciaux, imposés aux libraires ?
Le Conseil des écrivains réaffirme toutefois que le droit d'auteur est un moteur de création, garant de la diversité, et insiste sur l'importance de la « portabilité des offres numériques ». Mais il n'accepte pas que le droit d'auteur soit présenté comme un catalogue d'exceptions – ce qui aurait pour conséquence de nuire «à la création, à son financement et à sa rémunération, sans pour autant faciliter l'accès du public aux œuvres».
Reste que le rapport Reda a été fustigé pour sa tiédeur par une ancienne du Parti pirate suédois, Amelia Anderstotter : « Nous avons donc une copyright-friendly, inspirée par la cybersécurité allemande, cherchant à imposer une politique statique de Bruxelles à 507 millions de citoyens d'Europe, tout en laissant les choses plus ou moins dans le même état. Angela Merkel n'aurait pas fait mieux si elle avait essayé. »
Commenter cet article