Jean de La Bruyère avait déjà tout compris en 1688, bien avant que la monarchie absolue française ne se change en démocratie républicaine. Ses personnages, battus en brèche dans Les caractères, donnent lieu à autant de petits portraits de ces gens de la cour, dont on a envie de rire... juste avant de se rendre compte qu'ils parlent de nous. Et pour le coup, Paris Match vient de donner à l'ancien président de la République l'occasion de jouer à Arrias.
Le 11/07/2014 à 12:03 par Nicolas Gary
Publié le :
11/07/2014 à 12:03
Les journalistes politiques se régaleront de l'analyse du communicant Sarkozy, qui poursuit le jeu médiatique, suite à sa mise en examen pour trafic d'influence et corruption active, ce 1er juillet dernier. Mais ce qui est plus intéressant, c'est de découvrir combien l'Académicien Jean-Marie Rouart, missionné pour cette interview, était au top.
Nicolas Sarkozy affirme que pour l'occasion de la garde à vue, s'il n'a pas eu le droit de téléphoner à son plus jeune fils, « J'avais emporté un livre, "Les trois mousquetaires" ». L'homme au masque de fer aurait probablement été plus avisé, mais soit.
« Cela faisait longtemps que je tentais de le convaincre de se livrer à cet entretien : non pas que je veuille redorer son blason littéraire souvent malmené par la presse, mais parce que j'avais envie de faire partager l'intérêt de ces échanges qui me révélaient un lecteur passionné et atypique », explique Rouart.
L'entretien a été réalisé quelques jours avant la garde à vue, et Paris Match, deux jours plus tard, a pu solliciter de nouveau l'ex-président.
Alors que lit donc notre ancien président. Pour mémoire, c'était lui qui avait assuré lire les Roujon-Macquart (sic), être un grand amateur de Houellebecq, Proust, Camus, Tolstoï, tout en restant capable de parler de (Roland) Barthes, en prononçant son nom comme le gardien de foot de l'équipe de France 1998, (Fabien) Barthez.
De nouveaux entrants sont cités cette fois, rapporte plus en détail @rrêt sur images
Il aime Balzac (Le père Goriot, la Cousine Bette mais pas les Illusions perdues), Maupassant (Bel Ami), Lévi-Strauss, Camus, Dostoïevski, Zweig ("Marie-Antoinette est le livre le plus bouleversant que j'ai lu"), Steinbeck, Zola, Proust, Thomas Mann, Sartre, Hemingway. « Et que dire de Céline, que j'ai beaucoup lu, y compris sa thèse de médecine sur Semmelweis » .
Évidemment, on ne retrouvera pas la Princesse de Clèves, victime du président.
Jean-Marie Rouart était soucieux de faire parler de livres et de littérature l'ancien président : « J'ai toujours été curieux des liens que les grands responsables politiques entretenaient avec la littérature, qui occupe une place un peu démesurée dans ma vie. Non pas pour mesurer leur niveau de culture, ce qui, entre nous, m'importe peu – on n'est plus en classe – mais plutôt parce qu'à travers les livres qu'ils lisaient ils me livraient une vérité souvent plus large que leurs discours politiques. »
Et de citer François Mitterrand avec qui, en février 1978, il avait eu un grand entretien. L'ancien président assurera d'ailleurs : « Je ne veux pas pas parler de politique pour l'instant, parce que je suis dans une phase de réflexion. L'avantage, avec la littérature, c'est que ce n'est pas de l'ordre de la décision, mais de l'ordre de l'émotion. »
Quant à Napoléon, qui a manifestement fait l'objet d'une attention dans leur entretien : « Le problème, c'est que quand vous êtes dans l'île d'Elbe, vous n'avez qu'une seule ambition : en sortir. (...) La question du retour, de la renaissance, est une question pour moi beaucoup plus importante que celle de la revanche. »
Voici le making-of, et la face cachée, en deux minutes, de l'entretien.
A lire, relire, encore et toujours, ce que fut réellement Arrias, sous la plume de La Bruyère.
Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraitre ignorer quelque chose. On parle à table d'un grand d'une cour du Nord : il prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils savent ; il s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des moeurs de cette cour, des femmes du pays de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu'à éclater. Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur : "Je n'avance rien, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache original : je l'ai pris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance." Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée, lorsque que l'un des conviés lui dit : "C'est Sethon à qui vous parlez, lui même, et qui arrive fraichement de son ambassade."
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