#Roman étranger

Une histoire des loups

Emily Fridlund

Madeline, adolescente un peu sauvage, observe à travers ses jumelles cette famille qui emménage sur la rive opposée du lac. Un couple et un jeune enfant dont la vie aisée semble si différente de la sienne. Bientôt, alors que le père travaille au loin, la jeune mère propose à Madeline de s'occuper du garçon, de passer avec lui ses après-midi, puis de partager leurs repas. L'adolescente entre petit à petit dans ce foyer qui la fascine, ne saisissant qu'à moitié ce qui se cache derrière la fragile gaieté de cette mère et la sourde autorité du père. Jusqu'à ce que, malheureusement, il soit trop tard. Aussi troublant que poétique, best-seller dès sa parution aux Etats-Unis, le premier roman d' Emily Fridlund a été acclamé par la critique et reconnu comme l'oeuvre d'un nouveau talent à suivre.

Par Emily Fridlund
Chez Editions Gallmeister

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Genre

Littérature étrangère

À Nick

 

 

Comprenez, ne serait-ce qu’un instant, que Vie et Intelligence sont strictement spirituelles – ni dans la matière, ni d’elle – et le corps n’émettra plus de plaintes.

MARY BAKER EDDY,

Science et santé avec la clef des Écritures

 

Finalement je ne mourrai pas, pas maintenant, mais continuerai de vivre vertigineusement, à jamais dans la réalité, à moitié sourd à la réalité, dans la pièce imprégnée du feu que notre volonté inextinguible déclenche.

TIMOTHY DONNELLY,

The New Intelligence

 

 

SCIENCE

 

 

1


CE n’est pas que je ne pense jamais à Paul. Il vient à moi de temps à autre avant que je sois complètement réveillée, mais je ne me souviens presque jamais de ce qu’il a dit, de ce que je lui ai fait ou pas. Dans mon esprit, le gamin s’affale simplement sur mes genoux. Boum. C’est comme ça que je sais que c’est lui : il n’a aucun égard pour moi, aucune hésitation. On est assis dans la salle du centre d’information du service des forêts, une fin d’après-midi semblable à toutes les autres, et son corps glisse instinctivement vers le mien – pas par amour ni respect, mais simplement parce qu’il ne connaît pas encore les convenances régissant les limites entre deux corps. Il a quatre ans, un puzzle de hibou à terminer, ne lui parlez pas. Je ne lui parle pas. Une avalanche d’aigrettes plumeuses flotte devant la fenêtre, silencieuses et légères comme l’air. Le soleil décline, le puzzle s’assemble en hibou avant d’être désassemblé à nouveau, je demande à Paul de se lever. C’est l’heure d’y aller. C’est l’heure. Mais avant que nous nous levions, avant qu’il se mette à protester en geignant pour rester encore un peu, il se laisse aller contre ma poitrine et bâille. Et ma gorge se serre au point de se fermer. Parce que c’est étrange, vous comprenez ? C’est merveilleux, et triste aussi, combien il est bon parfois de sentir quelqu’un d’autre s’approprier votre corps.

 


AVANT Paul, je n’ai vu qu’une seule personne passer de la vie à la mort. M. Adler, mon prof d’histoire en troisième. Il portait des costumes en velours côtelé marron et des baskets blanches, et il avait beau enseigner l’histoire des États-Unis, il préférait parler des tsars russes. Un jour, il nous avait montré une photo du dernier empereur de Russie, et c’est ainsi que je l’imagine aujourd’hui – barbe noire, épaulettes à pompons –, mais, en réalité, M. Adler était ennuyeux et toujours rasé de près. J’étais en cours d’anglais quand un élève de sa troisième heure entra en trombe, annonçant que M. Adler était tombé. Nous nous empressâmes de longer le couloir jusqu’à l’endroit où M. Adler gisait face contre terre, yeux clos, lèvres bleues imbibant la moquette de salive.

— Il fait de l’épilepsie ? demanda quelqu’un.

— Est-ce qu’il a des cachets ?

On était tous dégoûtés. Les scouts se chamaillaient à propos des meilleures techniques de réanimation, les élèves à haut potentiel analysaient ses symptômes avec des chuchotements hystériques. Je dus me forcer à marcher jusqu’à lui. Je m’accroupis pour saisir sa main semblable à de la viande sèche. C’était début novembre. Il bavait sur la moquette, aspirant l’air à intervalles de plus en plus longs, et je me souviens qu’une vague odeur de feu flottait dans l’air. Quelqu’un brûlait des déchets dans des sacs en plastique, un gardien nettoyant les feuilles et les pelures de citrouille avant la première grosse neige.

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trad. Juliane Nivelt
17/08/2017 296 pages 22,40 €
Scannez le code barre 9782351781289
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