#Roman francophone

La nuit passera quand même

Emilie Houssa

La famille prit la direction de la mer le premier matin d'août. Ce fut un grand déménagement. Chacun muni d'une valise, d'un chapeau ou d'une casquette se vit également doté d'un attirail spécial à porter : un parasol, confectionné par Martha pour éviter d'en acheter un "les yeux de la tête" près de la plage, une canne à pêche, deux épuisettes et une bouée qu'on avait déjà gonflée pour être sûr qu'elle n'était pas percée mais qu'on n'osait plus dégonfler de peur d'endommager le système. La famille au complet sortit de l'appartement en short et en sandales. On n'avait d'ailleurs pas pris le temps de tester ces dernières et elles firent mal aux pieds avant même d'atteindre la bouche de métro. Tout le monde savait ce qu'il devait faire mais chacun criait à l'autre de faire quelque chose. Le casse-croûte fut donc scrupuleusement oublié sur la toile cirée élégante du salon". Dans la famille Bernstein, Squatsh est le deuxième des trois enfants : avant lui il y a Ludovic, après lui Marie. Ses parents se nomment Simon et Martha. Ils tiennent une boutique, La Vie moderne, située au 393, rue des Pyrénées à Paris. Outre une famille, Squatsh Bernstein a des principes, comme de s'enfermer aux toilettes pour réfléchir ou de ne jamais porter d'imprimé fleuri. Il fait de la boxe et aime la danse. Pour le reste, il possède peu de choses : un scarabée dans une boîte en carton, des livres, une solide réputation et, quelque part, nichée dans un creux, la mélancolie des gens qui se cognent au monde. Dans la famille Bernstein, Squatsh est le deuxième des trois enfants : avant lui il y a Ludovic, après lui Marie. Ses parents se nomment Simon et Martha. Ils tiennent une boutique, La Vie moderne, située au 393, rue des Pyrénées à Paris. Outre une famille, Squatsh Bernstein a des principes, comme de s'enfermer aux toilettes pour réfléchir ou de ne jamais porter d'imprimé fleuri. Il fait de la boxe et aime la danse. Pour le reste, il possède peu de choses : un scarabée dans une boîte en carton, des livres, une solide réputation et, quelque part, nichée dans un creux, la mélancolie des gens qui se cognent au monde.

Par Emilie Houssa
Chez Editions Denoël

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Genre

Littérature française

À Orianne, Antoine

et notre amour du cinéma

 

 

Dans le film Victor Victoria, que Blake Edwards sort en 1982, il y a un personnage de garde du corps. On ne sait pas trop pourquoi. L’homme qu’il est censé protéger fait trois fois sa taille et semble aimer la bagarre. Le garde du corps n’est perçu que par bribes : il entre en premier dans les pièces et ne s’assoit jamais à la table principale. Il révèle son homosexualité en croyant que son patron est homosexuel. Il se retrouve enfermé sur un balcon sous la neige parce que son patron n’est pas homosexuel. Ce personnage garde les corps des autres mais ne sait pas se garder lui-même. On meurt si facilement des autres. Il aurait pu mourir de froid sur ce balcon, ce ne sera pas le cas, la nuit passera quand même.

Si l’on suit Blake Edwards, le garde du corps a dû naître à la fin du XIXe siècle aux États-Unis, pas loin de Chicago. Dans le générique du film, il est désigné sous le nom « Squash », « Squash » Bernstein, comme ça : entre guillemets. Peut-être qu’en fait « Squash » s’appelle Melchior ou Balthazar. Seulement, si l’on suit Blake Edwards, « Squash » n’a pas beaucoup de consistance : il est l’ombre de son patron. Alors inventons. Retirons les guillemets à son prénom, ajoutons-lui un t. « Squash » devient Squatsh Bernstein.

Squatsh Bernstein n’existe pas, même au fin fond de la fiction de Victor Victoria, et là commence sa vie possible. Pourquoi, en effet, ne pas imaginer ce qu’auraient pu être les quarante premières années de Squatsh Bernstein pour qu’il arrive à ce balcon ? Le « pourquoi pas » est fabuleux. Pourquoi ne pas dire, par exemple, que Squatsh Bernstein n’est pas américain mais français, même parisien, et qu’il naît, tiens, en 1942, ce qui, à tout prendre, n’est pas une bonne idée…

 

 

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Dans ses moments de grande détresse, Squatsh Bernstein s’enfermait dans les toilettes du palier que sa famille partageait avec les Durant. Les Durant avaient bien tenté de récupérer l’appartement de ses parents pendant la guerre, mais à la Libération ils avaient été invités à restituer le bien aux Bernstein, retrouvant ainsi les joies communautaires incombant à la vie du troisième étage de cet immeuble parisien.

Un ballet s’était mis en place : chaque fois que Squatsh allait aux toilettes, M. Durant passait la tête dans l’embrasure de son entrée. Quelques minutes plus tard, il commençait à grogner en faisant les cent pas sur le palier. Quelques minutes après, il frappait à la porte. Au bout de dix minutes, il sonnait chez les Bernstein en hurlant contre leur manque d’éducation. Simon, le père de Squatsh, surgissait de l’appartement, criait à Squatsh de libérer les lieux et calmait M. Durant. Squatsh sortait en se tenant le ventre pour plus de crédibilité, mais, en voyant son fils ainsi, Martha déboulait à son tour sur le palier en vociférant contre M. Durant qui, selon elle, constipait tout le monde. Ce brouhaha occasionnait la venue de Mme Alama, la voisine du quatrième, qui tentait de comprendre puis de régler le problème.

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11/01/2018 265 pages 18,00 €
Scannez le code barre 9782207140239
9782207140239
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