#Roman francophone

La fissure

Jean-Paul Didierlaurent

Dernier représentant d'une entreprise de nains de jardin rachetée par une holding américaine, Xavier Barthoux mène une vie bien rangée entre la tournée de ses clients, son épouse, son chien et sa résidence secondaire des Cévennes. Mais quand il découvre une fissure dans le mur de sa maison, c'est tout son univers qui se lézarde... Animé par une unique obsession, réparer la fissure, il entreprend un périple extrême et merveilleux jusqu'à l'autre bout du monde.

Par Jean-Paul Didierlaurent
Chez Au Diable Vauvert

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Genre

Littérature française

Depuis près d’une heure, le tatoueur répétait les mêmes gestes avec la précision d’un métronome. Tremper le peigne dans l’encre noire, appliquer les dents sur l’avant-bras de l’homme, frapper à l’aide du bâton une série de coups secs, bois contre ivoire, de manière à faire pénétrer le liquide d’ombre sous la peau claire. À intervalles réguliers, l’assistant tamponnait l’épiderme avec son chiffon. Sang et encre mêlés constellaient l’étoffe de taches sombres. Allongé torse nu sur la natte, l’homme suait à grosses gouttes. Le feu invisible dévorait son bras, le consumait au cœur de l’os. Malgré la douleur, il trouva la force de sourire à la jeune femme agenouillée à sa gauche. Elle lui rendit son sourire et saisit sa main. Pendant un court moment, sa paume aspira les morsures du peigne. L’homme releva la tête et contempla l’avancée du tatouage. Un premier entrelacs de lignes sombres serpentait sur sa peau du coude au biceps. Il lui semblait que les souvenirs s’estompaient alors que le dessin prenait forme. Il ferma les yeux. Les dernières images de sa vie d’avant s’échappaient sans qu’il cherche à les retenir.

 

 

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Dans l’art du bûcheronnage, le cran de chute est l’entaille en v pratiquée sur le fût d’un arbre pour définir la trajectoire de son abattage. Même infime, ce cran oriente l’effondrement du tronc en déséquilibrant l’ensemble du côté souhaité. Mettre à bas un géant vert sans effectuer cet acte préliminaire peut s’avérer des plus périlleux. Régulièrement, des bûcherons du dimanche dont l’ignorance égale la bêtise s’y essaient, avec les risques que cela comporte et des résultats à l’opposé de leur ambition première. Ainsi tronçonné, l’arbre, lorsqu’il ne se contente pas de rester cramponné de toutes ses branches à ses compagnons, peut osciller longtemps avant de choisir de son propre gré l’endroit de son effondrement qui peut se solder par l’aplatissement d’un véhicule, l’écrasement d’un hangar ou la pulvérisation de la véranda du voisin avec pour seule compensation un passage éclair dans Vidéo Gag à condition que le beau-frère chargé de la caméra n’ait pas oublié d’appuyer sur le bouton marche au moment de l’accident, quand l’entreprise ne s’achève pas tout simplement par l’écrabouillement du tronçonneur novice et de son engin pétaradant.

Comme les arbres, les êtres humains ont besoin d’un cran de chute pour que s’engage le processus d’effondrement. Il peut se présenter sous différentes formes, grossières ou non, provoquées ou pas, parfois violentes, souvent imprévisibles. Un décès inattendu dans l’entourage, une grossesse non désirée, l’apparition d’une tumeur minuscule au cœur d’un sein, un coup de canif dans le contrat de mariage, une lettre de licenciement dans le courrier du jour, un accident sur la route des vacances, une facture de trop, autant de gouttes susceptibles de faire déborder le vase. Il peut toutefois prendre une apparence plus subtile et se montrer d’une inoffensive banalité.

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18/01/2018 327 pages 18,00 €
Scannez le code barre 9791030701722
9791030701722
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