À Cristina Manresa,
Pour ce regard rempli d’éternité
La dernière victime des guerres napoléoniennes n’est pas encore née.
Rodolfo WALSH
1
Lorsque le téléphone s’était mis à sonner, Rolf Böll avait immédiatement compris qu’aujourd’hui on viendrait pour le tuer. Lorsqu’il raccroche, un son aigu et bref s’échappe de l’écouteur, comme le chant ininterrompu d’un oiseau mécanique. Il se prend la tête entre les mains. La seule chose qu’il peut faire c’est fuir, mais il se sent trop vieux pour continuer à courir, se cacher, apprendre de ses erreurs, se défendre, implorer… Un rayon de soleil s’immisce par la fenêtre et fait scintiller comme des diamants les grains de poussière du passé qui flottent dans la pièce. Une tristesse infinie l’envahit lorsqu’il repense à toutes ces choses qui auraient pu être et qui ne seront plus jamais. Jusqu’à ce jour, il avait su alimenter l’espoir d’un retour triomphal de sa race. Aujourd’hui, il est convaincu de son extinction.
Du bruit à la porte. Il ouvre les yeux. Il est déjà là. Des pas lents, discrets, dans le couloir. Il y avait pourtant pensé : attendre avec son Walther chargé, armé et à portée de main, le surprendre, lui tirer dessus, et lui exploser le crâne, le tuer. Mais ce serait le geste d’un homme poussé par l’espoir, et Rolf n’en a plus aucun. Au-delà des questions philosophiques, il n’aurait pas non plus la force ni l’énergie nécessaires pour déplacer un cadavre et s’en débarrasser. Dans l’embrasure de la porte, la moitié d’un corps, la moitié d’un visage, une jambe, un bras et une main gantée armée d’un pistolet. La voix de Rolf est calme, douce.
Entre, ne crains rien.
La méfiance peinte sur le visage du jeune homme ne disparaît pas pour autant, mais le ton de la voix l’encourage à entrer, le canon de son arme pointé vers le sol. D’un geste courtois, Rolf l’invite à s’asseoir. L’homme regarde autour de lui. Son flair lui confirme qu’ils sont bien seuls. Il fusille le vieux de son regard bleu et s’installe en face de lui.
Vous savez que l’heure est venue ?
Je sais, gamin. Je le savais bien avant que tu naisses.
Le jeune homme saisit son arme, actionne la culasse pour expulser le chargeur. Rolf lève les mains, les paumes dans sa direction.
Ce ne sera pas nécessaire.
J’en suis sûr, monsieur, mais je préfère suivre le protocole, si ça ne vous fait rien.
Allons-y.
Il ôte toutes les balles du chargeur et les aligne sur le bureau. Sept points d’une droite parfaite. Il encastre le chargeur dans la crosse, actionne le bloc culasse pour libérer la chambre et y glisser une balle avant de la refermer. Il regarde fixement Rolf et pose l’arme devant lui. Les yeux de Rolf s’arrêtent sur la manchette de sa chemise. Il porte les fameux boutons que fabriquait Brause & Co. Cette journée semble s’entêter à le replonger dans le passé.
Jolis boutons de manchettes.
Merci.
J’en ai eu de semblables, d’où viennent les tiens ?
Extraits
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