Alliage du chapitre 1
32 % de cuivre, 18 % d’étain, 50 % d’un bien étrange entretien d’embauche
Gustave Eiffel empoigna fermement le fer. Sa main était assurée. Il effectua une légère rotation pour assouplir son poignet et soupeser le métal. Il prit une profonde inspiration. Ses doigts se crispèrent. D’un geste vif, sans hésitation, il appuya la pointe métallique contre le col. Il détendit le bras de manière fluide, dans un mouvement imparable, presque instinctif.
Du premier coup, il repassa l’encolure de sa chemise.
Puis il attaqua les manches. Il gagna du terrain, déplissa les pans de devant et derrière. Sans faiblir, il traquait les plis. Sa respiration était régulière, son œil vif et concentré. Cependant le plus dur restait à faire. Il fallait lisser la boutonnière. Gustave serra le poing sur le manche. Ses épaules tendues trahissaient sa détermination. Il s’élança. Le fer serpenta entre les boutons, défroissant le tissu jusque dans les recoins les plus inaccessibles. Enfin, à bout de forces, Gustave reposa son fer à repasser. Il brandit victorieusement sa chemise. Il était venu à bout de tous les plis.
Gustave enfila le vêtement encore tiède. Il passa un veston léger en lin. Devant le miroir, il ajusta son nœud de cravate, affermit ses épaulettes, s’assura que son pantalon tombait droit et que ses souliers reluisaient. Il recula de quelques pas et s’observa d’un œil critique.
Le miroir lui renvoya le reflet d’un jeune homme bien mis, mince et droit, l’air réservé. Il lui sembla qu’il avait fort honnête mine. Il s’entraîna à prendre l’allure d’un ingénieur compétent et sûr de lui. Il s’exerça à sourire comme quelqu’un qu’il fallait à tout prix embaucher.
Aujourd’hui, il trouverait du travail. Il décrocherait un poste à la hauteur de ses compétences, avec de bons appointements et des perspectives d’évolution. Et, surtout, avec une avance sur salaire.
Le regard de Gustave alla de son costume tout frais aux murs décrépis de la chambre d’étudiant qu’on apercevait derrière lui. Le logement se composait d’une pièce unique, propre, mais défraîchie et chichement meublée. Une fois embauché, il pourrait peut-être déménager. Il aurait aimé habiter un immeuble à corniches et façade en pierre de taille. Il rêvait d’un appartement avec une belle hauteur sous plafond, des moulures, et un balcon donnant sur la Seine.
Le jeune homme ouvrit sa lucarne. Paris se réveillait. Des ruelles environnantes montaient déjà les clameurs des vendeurs à la criée, et le chambard des voitures. Une nouvelle journée commençait, pleine de promesses pour qui saurait saisir les opportunités qui se présentaient. Eiffel sortit faire un tour.
En passant devant la loge de la concierge, il rentra les épaules, baissa le menton et fila droit, priant pour échapper à la mégère, à qui il devait déjà deux mois de loyer. Gustave refusait d’écrire à nouveau à ses parents pour réclamer de l’argent. Le petit négoce de fers doux, aciers et tôles que gérait sa mère n’était pas une source inépuisable. Il était temps qu’il subvienne à ses besoins.
Extraits
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