#Essais

Les grands vaincus de l'Histoire

Jean-Christophe Buisson, Emmanuel Hecht

Selon l'adage napoléonien : "Du triomphe à la chute, il n'est qu'un pas." Mais la réciproque est tout aussi vraie tant la déchéance, la défaite et la mort des hommes et des femmes illustres peuvent être porteuses d'inspiration et hanter l'imaginaire. Qu'ils soient empereurs ou princes, guerriers ou chefs d'Etat, conservateurs ou révolutionnaires, tous ont été trahis, abandonnés, renversés, et souvent assassinés. L'histoire étant écrite par les vainqueurs, certains ont été victimes de leur légende noire tandis que d'autres ont été hissés sur le pavois en raison de leur génie ou de leur héroïsme sacrificiel. Mais à chaque fois, le mythe se substitue à l'histoire jusqu'à l'occulter totalement. Jean-Christophe Buisson et Emmanuel Hecht sont partis à la recherche de treize grands destins brisés, depuis l'Antiquité jusqu'au XXe siècle. Treize destins devenus destinées qu'ils explorent et racontent d'une plume aussi informée qu'inspirée. Treize grands récits où l'art de la narration se conjugue à une épopée dramatique, offrant au lecteur une méditation sur le pouvoir, l'histoire et la postérité.

Par Jean-Christophe Buisson, Emmanuel Hecht
Chez Librairie Académique Perrin

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Genre

Histoire internationale

PRÉFACE

Le savoir-perdre

Ils sont treize, deux femmes et onze hommes, précipités depuis le zénith de la gloire jusqu’aux ténèbres des enfers. Vaincus, ils ont été condamnés à la réclusion, assassinés, suicidés. Ils s’appellent Hannibal, Cléopâtre, Vercingétorix, Jeanne d’Arc, Montezuma, Guise, Condé, Charette, Lee, Chiang Kai-shek, Trotski, Che Guevara, Nixon. Ces treize princes, rois ou empereurs, chefs de guerre ou chefs d’État, mystiques ou idéologues, ont été respectés ou craints, admirés ou adulés, puis voués aux gémonies dès que la roue de la fortune a tourné. Tant il est vrai, comme le dit le poète, que « beauté, rêves, grandeur, tout s’évanouit comme de l’eau dans l’eau »…

Nous n’en avons choisi que treize – kaléidoscope des siècles et des continents –, mais nous aurions pu en ajouter bien d’autres. De Spartacus et Léonidas à Hitler et Saddam Hussein, en passant par Darius, le roi lépreux de Jérusalem Baudouin IV, Charles le Téméraire, Marie Stuart, Cromwell, Robespierre, Cadoudal, Napoléon, Gordon Pacha, Abd el-Kader, le général Mihailović, Mussolini, Patrice Lumumba ou le général Salan, les exemples sont légion de ces figures passées du Capitole à la roche Tarpéienne, de la gloire au peloton d’exécution, de la toute-puissance à l’exil, du soleil aux abîmes.

Treize, donc. Le chiffre porte la poisse, diront les superstitieux. Mais ce n’est ni dans la carte du ciel ni dans le marc de café qu’il faut rechercher une explication aux caprices du destin qui terrassent les champions. C’est plutôt du côté de la vanité et de l’orgueil, du mépris et de la morgue, de la surdité et de l’aveuglement, de l’hubris – la démesure selon les Grecs –, de la faiblesse et de l’indécision, bref, du côté des ressorts cachés de l’âme et des ratés du caractère. Parfois, plus prosaïquement, c’est l’incapacité à saisir le moment opportun – le kairos de ces mêmes sages de l’Attique – ou à jauger les rapports de force et le poids de la ruse qui font s’échapper la victoire.

Il n’est pas sans risque de dessiner les portraits de ces treize figures hors du commun, car Clio a plus d’un tour dans son sac. Le vaincu peut se métamorphoser en martyr, gagnant ainsi une gloire posthume inespérée. Son sacrifice donne alors un sens plus fort à son combat, que des partisans s’empresseront de perpétuer, ainsi que sa légende. À l’inverse, un perdant magnifique, droit dans ses bottes, verra souvent sa postérité entachée par la légende noire tissée par les vainqueurs, ceux-là mêmes qui écrivent l’histoire.

Le mythe « Che » Guevara, cet autoritaire aux allures de héros romantique, illustre avec éclat l’une de ces ruses de l’histoire. Comme les oiseaux qui vont mourir au Pérou, l’hidalgo argentin est allé se perdre dans la jungle bolivienne, entraînant dans son Golgotha des disciples convaincus que leur « conquistador » allait embraser le continent sud-américain par la magie d’une multiplication des foyers révolutionnaires. Il avait pourtant prévenu son monde : « Mon sort est de mourir en guérillero et je mourrai en guérillero. » Dès l’origine, il y avait maldonne, mais personne n’avait voulu l’entendre. Chacun trouvait son compte dans le déni : le nihiliste, grimé en libertador, et ses partisans, qui ne voulaient pas dévier du credo. Son ultime combat en Bolivie était voué d’emblée à l’échec et les rangers locaux arrêtèrent un fantôme en loques. Mais c’est une autre image qui passera à la postérité : celle d’un martyr chrétien gisant, une réplique romantico-révolutionnaire du Christ.

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23/08/2018 416 pages 21,00 €
Scannez le code barre 9782262042301
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