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Genre
Histoire internationale
PRÉFACE
Le savoir-perdre
Ils sont treize, deux femmes et onze hommes, précipités depuis le zénith de la gloire jusqu’aux ténèbres des enfers. Vaincus, ils ont été condamnés à la réclusion, assassinés, suicidés. Ils s’appellent Hannibal, Cléopâtre, Vercingétorix, Jeanne d’Arc, Montezuma, Guise, Condé, Charette, Lee, Chiang Kai-shek, Trotski, Che Guevara, Nixon. Ces treize princes, rois ou empereurs, chefs de guerre ou chefs d’État, mystiques ou idéologues, ont été respectés ou craints, admirés ou adulés, puis voués aux gémonies dès que la roue de la fortune a tourné. Tant il est vrai, comme le dit le poète, que « beauté, rêves, grandeur, tout s’évanouit comme de l’eau dans l’eau »…
Nous n’en avons choisi que treize – kaléidoscope des siècles et des continents –, mais nous aurions pu en ajouter bien d’autres. De Spartacus et Léonidas à Hitler et Saddam Hussein, en passant par Darius, le roi lépreux de Jérusalem Baudouin IV, Charles le Téméraire, Marie Stuart, Cromwell, Robespierre, Cadoudal, Napoléon, Gordon Pacha, Abd el-Kader, le général Mihailović, Mussolini, Patrice Lumumba ou le général Salan, les exemples sont légion de ces figures passées du Capitole à la roche Tarpéienne, de la gloire au peloton d’exécution, de la toute-puissance à l’exil, du soleil aux abîmes.
Treize, donc. Le chiffre porte la poisse, diront les superstitieux. Mais ce n’est ni dans la carte du ciel ni dans le marc de café qu’il faut rechercher une explication aux caprices du destin qui terrassent les champions. C’est plutôt du côté de la vanité et de l’orgueil, du mépris et de la morgue, de la surdité et de l’aveuglement, de l’hubris – la démesure selon les Grecs –, de la faiblesse et de l’indécision, bref, du côté des ressorts cachés de l’âme et des ratés du caractère. Parfois, plus prosaïquement, c’est l’incapacité à saisir le moment opportun – le kairos de ces mêmes sages de l’Attique – ou à jauger les rapports de force et le poids de la ruse qui font s’échapper la victoire.
Il n’est pas sans risque de dessiner les portraits de ces treize figures hors du commun, car Clio a plus d’un tour dans son sac. Le vaincu peut se métamorphoser en martyr, gagnant ainsi une gloire posthume inespérée. Son sacrifice donne alors un sens plus fort à son combat, que des partisans s’empresseront de perpétuer, ainsi que sa légende. À l’inverse, un perdant magnifique, droit dans ses bottes, verra souvent sa postérité entachée par la légende noire tissée par les vainqueurs, ceux-là mêmes qui écrivent l’histoire.
Le mythe « Che » Guevara, cet autoritaire aux allures de héros romantique, illustre avec éclat l’une de ces ruses de l’histoire. Comme les oiseaux qui vont mourir au Pérou, l’hidalgo argentin est allé se perdre dans la jungle bolivienne, entraînant dans son Golgotha des disciples convaincus que leur « conquistador » allait embraser le continent sud-américain par la magie d’une multiplication des foyers révolutionnaires. Il avait pourtant prévenu son monde : « Mon sort est de mourir en guérillero et je mourrai en guérillero. » Dès l’origine, il y avait maldonne, mais personne n’avait voulu l’entendre. Chacun trouvait son compte dans le déni : le nihiliste, grimé en libertador, et ses partisans, qui ne voulaient pas dévier du credo. Son ultime combat en Bolivie était voué d’emblée à l’échec et les rangers locaux arrêtèrent un fantôme en loques. Mais c’est une autre image qui passera à la postérité : celle d’un martyr chrétien gisant, une réplique romantico-révolutionnaire du Christ.
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