#Roman francophone

Chien-Loup

Serge Joncour

L'été en totale déconnexion était une source d'inquiétude pour Franck, mais Lise en était ravie. Pour lui faire plaisir, et par amour, Franck a accepté, bien que cela soit à contrecoeur, à louer cette maison isolée dans le Lot, absente des cartes et sans aucun réseau. La description mentionnait une maison nichée parmi les collines, promettant sérénité et quiétude. Elle n'évoquait cependant pas l'histoire troublée de cette demeure autrefois occupée par un dresseur allemand et ses bêtes pendant la Grande Guerre. Ni ce mystérieux chien, ressemblant à un loup, qui s'est rapidement attaché au couple. À leur arrivée, Franck était convaincu que la nature domestiquée ne cachait plus de danger et que les conflits sanglants d'autrefois étaient remplacés par des affrontements plus subtils.

Mais cette perception a changé. Serge Joncour dévoile l'histoire centenaire d'un village lotois, mettant en lumière un passé marqué par les animaux et les ravages de la guerre, offrant un miroir réfléchissant sur notre époque. Avec ce couple contemporain face aux éléments et à l'agressivité ambiante, l'auteur révèle que la barbarie peut toujours jaillir au sein de nos vies modernes, à l'image d'un chien-loup prêt à bondir.

Par Serge Joncour
Chez Flammarion

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Editeur

Flammarion

Genre

Littérature française

1re PARTIE

 

 

Juillet 1914

 

 

Jamais de tels cris n’étaient descendus depuis les collines. Jamais on n’avait entendu beugler comme ça. Vers minuit, au village, les premiers hurlements résonnèrent depuis les hauteurs, des hurlements lointains, qui à l’évidence se rapprochaient. Les anciens eux-mêmes ne déchiffrèrent pas tout de suite ce hourvari, à croire que les bois d’en haut étaient le siège d’un furieux sabbat, une rixe barbare dont tous les acteurs seraient venus vers eux. On pensa d’abord à des lynx ou à des renards qui se disputeraient une prise, ces petits fauves libres et enragés qui enfièvrent les nuits de leurs carnages. Ou alors c’était le requiem des loups, parce que les loups modulent entre les graves et les aigus, en meute ils vocalisent sur tous les tons pour faire croire qu’ils sont dix fois plus nombreux. Ces derniers temps on balançait ce qu’il faut de strychnine, malgré ça des loups il en restait dans les collines, alors on réveilla tout le monde, les anciens comme les enfants, on les tira du lit pour qu’ils frappent des cuillères sur le cul des casseroles, qu’ils sortent en criant bien fort, unique méthode éprouvée pour faire reculer les loups.

La nuit, les bois sont un royaume peuplé de cris et de chevauchées. Dans l’ombre, les animaux en profitent pour vivre à l’abri des hommes, de loin on les entend chasser ou s’accoupler, certains même se battent, chaque nuit la terre redevient le monde des bêtes sauvages, et ce soir-là elles l’étaient plus que jamais.

— C’est quand même pas des…

— Tais-toi !

Puis la ronde endiablée bascula de ce côté-ci de la colline, le bruit se précisa, et là on comprit que c’étaient des aboiements, des aboiements heurtés et déchirants, mais les loups n’aboient pas et jamais des chiens n’auraient geint aussi fort, pas même des chiens évadés de l’enfer, seuls des chevreuils pouvaient le faire, des chevreuils qui aboyaient atrocement ce soir, une marée de chevreuils sans doute survoltés par les baies de bourdaine ou enflammés par la peur. Jamais ils n’avaient gueulé aussi fort, jamais ils n’avaient lacéré les collines de cette alarme démoniaque. Du coup, plus la peine de taper sur les casseroles, mais il fallut rappeler aux enfants que tous les étés les chevreuils aboient, la nuit ils aboient plus fort encore que des chiens, et d’une façon plus dramatique, plus gutturale et affolante, c’est la gueulante infernale des mâles qui chamboulent les ténèbres, les appels de brocards en rut dont on ne sait s’ils cherchent à effrayer l’adversaire ou à hurler leur détresse.

Tout de même, pour qu’ils gueulent tous et dans ce même chœur, c’est que quelque chose devait les effrayer. À Orcières, on ne les avait jamais entendus aussi nombreux, c’est par dizaines qu’ils semblaient rappliquer, refoulés du fond des âges vers les maisons. Au village personne n’avait peur des chevreuils, mais tous tremblaient à l’idée de savoir ce qui pouvait les terrifier ainsi.

 
 

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22/08/2018 475 pages 21,00 €
Scannez le code barre 9782081421110
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