Subjonctif

Francois-x. Luciani

Subjonctif est l'histoire d'Ange-André de Ladace, qui en vient à corriger les fautes de français à coup de Maüser. Subjonctif est donc un roman noir, mais pas vraiment ou pas seulement. Le mode de conjugaison en question a un rôle essentiel dans l'intrigue, de même que le passage du millénium, les Faux de Verzy, le et la Champagne, les chevaux de course, la noblesse d'épée... Subjonctif pourrait prendre place entre Suskind et Pennac, avec une écriture dans laquelle les envolées syntaxiques offrent au vocabulaire argotique et aux néologismes un tremplin savoureux. Subjonctif s'amuse avec la langue et, effet secondaire non négligeable, donne à nos jeunes lecteurs adolescents l'étonnant désir d'entrer dans la bande des académiciens... qui ne plaisantent pas avec les terminaisons en asse, inssent, eusse, eoiraient et autres ûssiez !

Par Francois-x. Luciani
Chez Les Editions du Net

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Genre

Littérature française

1. Miraculé des fientes

« Qu’est-ce ? » maugréa-t-il.

L’unanimité des employés du Comte s’accorde à dire qu’un matin, rentrant d’une mise en jambes équestre en son domaine des Cagneux, Romuald trouva une chose légèrement brunâtre de sang caillé, posée au sommet du tas de crottin ornant le recoin gauche de l’écurie. La magnifique bâtisse en pierre de taille étant réservée à l’usage exclusif d’As de Cœur et d’As de Trèfle (son couple de pur-sangs aux pedigrees dûment facturés), le Comte de Verzy n’identifia pas du premier coup d’œil la nature réelle de l’incongruité. Or, toujours soucieux des aléas digestifs de son capital quadrupède, la noble âme mit pied à terre avant de chausser monocle et de lâcher un « qu’est-ce ? » sifflant devant sa trouvaille.

La chose, déjà fort laide [faut-il vraiment le préciser ?] lui grimaça un sourire – comment dire ? – de circonstance ? Non, n’est-ce pas ! Il n’y eut pas lieu de sourire en l’occurrence puisque cet « être » (vague compromis entre le ténia gluant légitimement rejeté et le cadeau perfide d’un ciel fantasque) ; cet « être », donc, eût dû s’excuser de réveiller à son corps défendant les aigreurs d’un estomac aussi grandement aristocratique que, pour l’heure, inutilement à jeun. Romuald de Verzy – personne ne saurait dire vraiment pourquoi – se montra fort civil ce matin-là en indiquant d’une cravache moins nerveuse que dédaigneuse le lieu de sa découverte à la matrone opulente d’un de ses gens. Pris d’une bonté soudaine, il ordonna de vaguement sustenter cette « chose engendrée » en attendant, dit-il, de « voir venir ».

« Engendrée par quoi, mon maître ? demanda la simplette.

– Par plagiat ! Ce vermisseau postule à l’humain ! Il plastronne, l’infâme, au mitan des selles de mes champions comme l’eût fait un bouffon sur le trône d’un monarque indulgent.

– D’où qui vient l’engendré ?

– Quelle question ! Répondre à une telle énigme impliquerait de subodorer l’improbable et je m’y refuse ! Au vu de sa mise, il donnerait plutôt dans le genre “maculée conception”, si vous voyez ce que je veux dire !

– C’est le bon Dieu qui l’a mis là, sul’ tas d’fiun, numin ?

– Le Bon Dieu ! Pauvre benoîte ! Cessez donc d’invoquer cette hypothèse improbable pour un rien. Et puis ne tergiversez plus, perfide ! Sortez ce gnome de la mondée. Nourrissez-le. Faites au mieux, mongolienne, mais faites ! » Ordonna le maître en tournant casaque.

La matrone alla quérir la chose et fit, obéit, donna le sein et quelques soins basiques en attendant que le maître vît venir.

***

La belle unanimité des employés de l’aristocrate s’accorde aussi à dire que le « voir venir » prit environ dix années.

Dix petites années durant lesquelles nul ne songea jamais à signaler cette existence à un organisme officiel ni même à inscrire sur un registre ne serait-ce qu’un ersatz d’ombre de début d’identité. Pas la moindre date, pas le moindre repère concernant le passé futur de ce petit machin dont l’apparence n’augurait d’aucun avenir sérieusement envisageable. Et puis à quoi bon se soucier, n’est-ce pas ? Pire qu’un « sans papier », l’énergumène était un « sans nom ». Comment donc évoquer une entité sans identité aucune ? Dans un monde de nomenclatures, de cadres, de normes et de profils, la simple biologie ne peut être considérée comme une preuve d’existence recevable. Et puis quoi ? Être juste en vie ne suffit ni à être reconnu ni à faire partie de la réalité objective, ça se saurait !

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18/10/2018 294 pages 23,00 €
Scannez le code barre 9782312063089
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