Le promeneur de la Roya

Michel Mangin

Adolescent sensible et atypique, Julien attend de rejoindre le monde immatériel et merveilleux de ses rêves. Observateur minutieux du ciel et de la nature depuis son plus jeune âge, il fut rapidement convaincu que l'essentiel se situait aux antipodes des préoccupations matérielles des hommes. Toutefois, son mysticisme ne l'empêche pas de garder sa lucidité. Se sachant incapable de se conformer aux attentes de la société, il recherche l'âme soeur avec laquelle partager son désir d'absolu. Grâce au concours de ses amis intimes, il entreprend alors le voyage d'un amour qui traverse l'espace et le temps.

Par Michel Mangin
Chez Les Editions du Net

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Genre

Littérature française

L’adolescent

Julien faisait le désespoir de ses parents. Autour de ses quinze ans, l’idée lui vint qu’il ne vivrait que pour rencontrer l’âme sœur. Bien qu’ils désirassent de nombreux enfants, ils n’avaient eu que ce fils. Combien d’efforts et de prières pour rien ; une science impuissante, la sourde oreille de Dieu, c’était beaucoup pour de braves gens pétris de foi ! Leur entourage les considérait comme un couple modèle. Une référence pour familles chrétiennes en devenir. Un homme courtois, brillant, honnête et travailleur. Un père présent, dépourvu de vices, même les plus bénins. Une épouse fidèle, discrète et attentionnée. Une mère aimante, dévouée, prête à tous les sacrifices pour ce fils adoré. Et voilà que la providence renâclait à satisfaire un bonheur légitime.

A y regarder de près, le garçon, bien élevé, paraissait un peu rêveur. C’était un bel adolescent, poli et souriant. Les jeunes filles se retournaient en le croisant. Les voisins se poussaient du coude et les commérages allaient bon train. On lui prédisait déjà un avenir galant… Voyait-il quelque chose ? En tout cas, rien qui le laissât présager. Son emploi du temps témoignait d’une trajectoire sociale de bon aloi. Levé à six heures chaque jour, de prévisibles occupations quotidiennes, jalonneraient une journée bien remplie. Elève studieux et discipliné, il était la fierté des pères du pensionnat Dominicain de la petite cité Bourguignonne. Ceux-ci discernaient déjà chez lui, les œuvres de l’esprit saint, pour qu’il se passionnât tant pour les études, et qu’il y manifestât tant de zèle… A l’occasion des messes dominicales qu’il servait encore à presque seize ans, sa respectueuse et stricte application des règles canoniques, lui conférait un officieux prestige. Et de mauvaises langues de sacristie, chuchotaient que le curé en prenait ombrage !

Après la grand-messe, il embrassait systématiquement des parents émus et déconcertés par cette inexplicable attitude. Puis les abandonnant à des conjectures alimentant leur interminable tête à tête, il quittait discrètement le parvis de l’austère et imposante basilique, se faufilant élégamment entre les groupes de pécheurs assemblés par affinités, afin qu’ils ne le remarquassent pas… Parvenu à l’extrémité de la Grand-Place, il se retournait une dernière fois pour tenter d’apercevoir ses chers parents. Si la chance lui donnait rendez-vous, il saisissait furtivement leurs silhouettes familières, leur adressant un indiscernable éclat d’émotion, avant de se jeter dans le long tunnel de pierres polies que le temps fourbissait, rue st Vincent.

Après deux cents mètres d’une course heureuse et légère où il volait presque, regrettant de n’être pas l’un de ces oiseaux blancs dansant sans encombre au milieu des vents espiègles, il termina sa chevauchée fantastique les deux pieds joints juste au bord du fleuve. Planté dans un impeccable garde à vous, il salua la nature, longuement. Aujourd’hui, le soleil ruisselait sur elle. Des vagues de lumière bondissaient sur le flot grondant où quelques larges troncs barraient son tumultueux élan. Un artiste inconnu peignait ses rives. De ses mains invisibles, ce bon géant lissait l’espace, puisant dans sa palette, les nuances de toutes les couleurs. Et Julien la sentait passer sur son corps chaque fois qu’un souffle d’air tiède le caressait. Il se voyait enduit de multiples teintes, l’incitant à rejoindre ses amis ailés qui l’appelaient en glissant par-dessus les cimes. Ça c’était la vie, se chantait-il très fort intimement, pour que seule la nature l’entendît.

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15/11/2018 294 pages 16,00 €
Scannez le code barre 9782312063669
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