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Genre
Littérature étrangère
AVANT-PROPOS
Lorsqu’on parle de littérature néo-zélandaise en France, on s’entend souvent demander en quoi elle se distingue de l’immense production anglophone en voie de mondialisa- tion. La question est si légitime que les écrivains de Nou- velle-Zélande n’ont pas manqué de se la poser eux aussi.
Je dis « Nouvelle-Zélande », mais ne devrais-je pas dire « Aotearoa », pour lui donner le nom que les Maori ont préféré au xxe siècle et qui signifie « long nuage blanc » ? Je pourrais même articuler les deux noms à la suite, comme on le voit souvent faire aujourd’hui. Cet accouple- ment aurait le mérite, me semble-t-il, non pas de laisser entrevoir un biculturalisme plutôt théorique, mais d’indi- quer une sorte d’hésitation entre deux cultures fondatrices et, ainsi, de rendre apparente la quête d’identité qui a toujours animé la littérature néo-zélandaise.
Dans les premiers temps de la colonie, le principal souci était d’amarrer la Nouvelle-Zélande aux îles britanniques. La ville de Dunedin se présentait en nouvelle Édimbourg et Christchurch en calque de l’Angleterre. Plus tard, exis- ter par soi-même allait impliquer une autre distance, exiger de regarder autour de soi et de se voir réellement dans le Pacifique avec un peuplement maori important. Ce fut là une des tâches de la meilleure littérature du début du xxe siècle. Jusqu’alors, les Maori ne figuraient dans le paysage culturel que par l’exotisme. Lydia Wevers a très bien parlé du paysage naturel transformé en décor sublime de carte postale ; elle relève que, dès 1880, l’agence de voyages Thomas Cook & Sons avait découpé le pays en « scenic wonderlands » pour favoriser le tourisme1. Puis on a vu des groupes maori exportés au Royaume-Uni pour des tour- nées de spectacle. La littérature ne pouvait pas longtemps se satisfaire de ce décor, et les écrivains sérieux ont dû, soit décider comme Katherine Mansfield (1888-1923) ou John Mulgan (1911-1945) de rejoindre l’Angleterre où ils esti- maient pouvoir être reconnus, soit, à la manière des poètes Denis Glover (1912-1980) et Allen Curnow (1911-2001), prendre leurs distances avec le pays d’origine pour enfin s’intéresser à ce qu’ils avaient sous les yeux. L’histoire de l’identité culturelle de la Nouvelle-Zélande est une naviga- tion. Elle rejoint ainsi, curieusement, la mythologie maori qui voyait dans l’île du Nord un poisson tirant le canot représenté par l’île du Sud -image qui a dû hanter l’inconscient de bien des écrivains.
Dans ce pays où la mer n’est jamais à plus de soixante kilomètres, on sent toujours le vent du large avec plus ou moins de force : celui, froid mais pur, qui souffle de l’Antarctique, ou celui, plus lourd, des mers chaudes du nord.
Les auteurs venus en France pour cette édition des Belles Étrangères participent tous, de manière différente, à cette navigation. Il y a ceux qui subvertissent l’histoire, tel Geoff Cush imaginant que la France aurait pu prendre possession de ces îles. Elle l’a tenté, timidement il est vrai, et la plus pittoresque de ces tentatives, celle du baron Charles de Thierry qui, vers 1840, se parait du titre de roi Pokeno de Hokianga, a fait l’objet d’un roman historique de Robin Hyde1 assez attachant. Mais Geoff Cush, en imaginant dans son roman Graine de France le pays sous tutelle française, ne cherche pas à résoudre un problème : il se contente de jeter une autre lumière sur sa société. Fiona Kidman, pour sa part, décide, dans Rescapée, son dernier roman, de réévaluer le début des relations entre Européens et Maori à travers le récit de l’enlèvement d’une immigrante britannique par une tribu maori. Elle se met ainsi en mesure de redresser une vision singulière- ment déformée par des siècles de préjugés. Un souci ana- logue anime le romancier James George, écrivain qui a choisi d’être maori même si certains de ses ancêtres sont pakeha, c’est-à-dire issus de l’immigration européenne. (Bien des jeunes qui ont reçu les deux héritages font aujourd’hui le choix d’Aotearoa avant New Zealand.) James George est l’un de ceux qui ne se contentent pas de décrire la situation toujours difficile d’une partie des Maori. Dans son roman Hummingbird, il examine le combat que les Maori ont livré en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, et il leur rend la fierté de leur engagement. Tâche également entreprise par des écrivains maori qui ne sont pas présents à ces Belles Étrangères, notamment par Patricia Grace dans son roman Tu.
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