#Roman étranger

Le journal de la veuve

Mick Jackson

La narratrice, une femme d'une soixantaine d'années, a perdu subitement son mari. Elle n'a ni enfants ni famille, et ses rares connaissances ne lui proposent qu'un soutien très élémentaire. Assaillie de témoignages de sympathie qu'elle n'a pas le sentiment de mériter, elle cède à la panique et saute à bord de la Jaguar du défunt pour s'enfuir loin de leur grande demeure londonienne, désormais vide. Elle loue une petite maison de pêcheur dans un village de la côte du Norfolk où elle ne connaît personne. Elle y vit recluse, sans trop savoir si elle va y demeurer définitivement ou n'y séjourner que quelques mois. Encore sous le choc de la perte de son mari, elle dort peu, boit de plus en plus et doit apprendre à découvrir sa vraie personnalité à présent qu'elle n'est plus simplement la femme de quelqu'un. Les longues promenades dans les marais du littoral, les soirées au pub et les heures passées à contempler le feu de cheminée sont propices à cette réflexion qui nous est transmise sous la forme du journal qu'elle tient au quotidien. Mais loin de se complaire dans la noirceur ou l'auto-apitoiement, les réflexions et ruminations de cette femme sont teintées d'humour. Au fil de ce monologue intérieur, elle bouscule avec ironie toutes les idées reçues quant à la conduite qu'il est convenu d'adopter en période de deuil. Ainsi rejette-t-elle la suggestion d'une de ses amies de faire du volontariat pour se sentir utile et moins seule au motif qu'elle n'est pas une délinquante en réinsertion. Elle s'amuse aussi des gens du village bien-pensants, visiblement offusqués par l'installation de cette femme qui vit en dépit de toute convenance et n'a que faire du qu'en-dira-t-on. Elle dit elle-même avoir des problèmes avec la réalité et s'efforce de composer avec elle pour alléger son quotidien, comme en témoigne son sens de la formule. A titre d'exemple, elle rebaptise les ornithologues qu'elle croise régulièrement au cours de ses promenades dans les marais, les qualifiant de " paparazzi ornithologiques " du fait de leur accoutrement. Au fil de son récit empreint de causticité, on découvre que son mariage fut loin d'être parfait, plein de frustrations et de déceptions, marqué par deux gros secrets...

Par Mick Jackson
Chez Christian Bourgois Editeur

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Genre

Littérature étrangère

Je crois qu’au moment où j’ai fiché le camp de la maison, je n’avais pas d’idée bien précise quant à ma destination. Mais je devais me douter qu’il ne s’agissait pas seulement d’une courte escapade, sinon je n’aurais pas emporté un sac.

À l’âge qui est le mien, on ramasse machinalement clés, sac à main, étui à lunettes, etc., dès qu’on met le pied dehors. Mais j’avais également trouvé le moyen d’attraper une poignée de vêtements et de les glisser dans un fourre-tout. Je devais donc savoir que je n’allais pas rentrer avant au moins un jour ou deux.

Des parties considérables du trajet sont restées en pointillés. Je me souviens toutefois d’avoir à un moment donné baissé la vitre pour pousser un hurlement. J’avais du mal à respirer. Non, ce n’est pas tout à fait exact. Il me semblait que j’étais en train de perdre la raison. J’ai donc baissé la vitre pour passer la tête à l’extérieur dans l’espoir que le vent m’aiderait à quitter l’endroit aussi terrible que terrifiant où je m’étais laissé enfermer. Et je me revois en train de hurler sans désemparer, à pleins poumons, dans la nuit.

Je suis quand même soulagée de n’avoir pas causé d’accident. Car j’aurais fort bien pu me tuer et tuer quiconque aurait traversé la route devant moi. Cette fichue Jag est beaucoup trop grosse et trop puissante. Je ne l’ai jamais aimée. Mais c’est tout ce que j’avais sous la main, puisque ma ravissante petite Audi était restée chez Ginny.

Erratique.

C’est, j’imagine, le terme qu’auraient employé les policiers si j’avais eu affaire à eux. « La désaxée conduisait son véhicule de façon erratique quand nous l’avons forcée à s’arrêter », auraient-ils consigné dans leur rapport.

Je me rappelle m’être retrouvée sur la M11, autoroute pour laquelle j’ai pas mal d’affection, pour autant qu’une telle observation ne soit pas parfaitement ridicule, étant donné que j’ai aussi énormément d’affection pour d’autres choses, comme les broches anciennes, les petits animaux à fourrure et même une ou deux personnes. Toujours est-il que je me suis retrouvée en train de rouler vers le nord sur la M11. Je n’avais plus qu’à décider si j’allais m’arrêter à Cambridge ou bien prendre à droite et filer vers Walberswick et Southwold, ou bien encore poursuivre en direction de la côte nord du Norfolk. J’ai tout de suite su ce que j’allais choisir.

Au départ, mon idée était avant tout de déguerpir de Londres. J’avais réussi je ne sais comment à trouver la M25, puis j’avais pris vers l’est. Je revois encore cette décourageante succession de passages souterrains, du côté de Waltham Abbey. Puis je me suis engagée sur la M11. Et j’ai abouti ici.

J’ai fait le plein juste avant Cambridge et j’en ai profité pour demander ma route. Peut-être parce qu’il avait affaire à une femme – a fortiori une femme au visage bouffi et trempé de larmes –, le jeune homme du garage s’est borné à me suggérer de suivre les panneaux indiquant Norwich, puis la signalisation menant à l’une ou l’autre des localités de la côte. Sur quoi je l’ai laissé à son magazine et chacun de nous a poursuivi sa vie de son côté.

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trad. Eric Chédaille
09/02/2012 272 pages 15,00 €
Scannez le code barre 9782267022889
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