#Roman étranger

L'invention de la Vénus de Milo

Takis Théodoropoulos

L'invention de La Vénus de Milo. Comment un marbre antique découvert par hasard dans le champ d'un paysan grec, brisé en deux morceaux de surcroît, est devenu l'un des symboles majeurs de l'art occidental, voilà l'enjeu de cette enquête menée tambour battant. Au printemps 1820, il y avait foule dans la petite île cycladique de Milo : Olivier Voutier, aspirant de la Marine française nostalgique de l'empereur, fut le premier à dessiner le fascinant visage de la statue, à qui il donna les traits de la femme de ses rêves, épouse du consul local. Dumont d'Urville, le futur explorateur de l'Océanie, n'eut aucun scrupule à s'attribuer la paternité du croquis et de la découverte du marbre, tant il rêvait d'en faire hommage à son roi Louis XVIII. C'était sans compter avec le comte de Marcellus, le futur secrétaire de Chateaubriand, alors en poste à l'ambassade de Constantinople. Les notables locaux ne restèrent pas inactifs, et moins encore les pilleurs d'antiques ottomans. Au cœur de ces rebondissements sentimentaux, politiques et diplomatiques, s'inscrit pourtant la question principale : celle de l'identité de la statue. Que Voutier se soit écrié " ma Vénus ", devant la pureté et le mystère de ses traits ne constitue en rien une preuve... et jamais on ne retrouva la main gauche censée tenir la pomme de discorde, attribut de la déesse de l'amour ! Takis Théodoropoulos, dont l'iconoclaste ironie n'épargne aucun des acteurs impliqués dans cette affaire, montre ici avec brio que la Vénus de Milo fut l'invention paradoxale que tout le monde attendait. Produit d'une sensibilité néoclassique alors en vogue, elle contribua à renforcer les valeurs dont nous sommes encore les héritiers, à l'heure où triomphe la culture des musées.

Par Takis Théodoropoulos
Chez Sabine Wespieser Editeur

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Genre

Littérature étrangère

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L’ont-ils baptisée Vénus parce qu’ils avaient découvert sa main gauche avec la pomme de discorde dans la paume ? Ou bien est-ce de l’avoir baptisée Vénus qu’ils se mirent à cher- cher la preuve irréfutable de son identité et, ne la trouvant pas, commencèrent à dire à la cantonade qu’ils l’avaient vue quelque part ou qu’elle avait disparu quelque part ?

Il n’est pas exclu que toute cette affaire résulte d’un accord spontané que l’on mit sous l’invocation de la déesse de l’Amour. La statue leur fit une telle impression qu’à aucun moment il ne leur vint à l’esprit que la femme aux seins nus étendue à leurs pieds, souillée encore par la terre et les lichens de l’humidité, aurait pu être moins que la déesse en personne, Vénus. Si, comme il semble avéré, les deux royalistes de la bande, le sieur d’Urville et le comte de Marcellus, pensèrent, avant même de la voir, qu’elle ferait un cadeau de premier choix pour Louis XVIII ¢ lequel était revenu sur le trône laissé vide par son frère après sa décapitation ¢, l’hypothèse Vénus leur convenait d’autant mieux. Facile à reconnaître, c’était une reine, avec une charge mythologique digne de son rayonnement esthétique. 

Ils ne songèrent pas un instant que leur Vénus pouvait ne pas être Vénus, mais l’une de ses suivantes, une des trois Grâces, une nymphe locale, la belle Hélène ou l’une des neuf Muses que le sculpteur Aguésandros, son présumé créateur, voulait pourvoir d’un charme érotique particulier. 

Concédons à Olivier Voutier la justesse du coup d’œil. Reconnaissons autrement dit que le croquis qu’il traça in situ, penché sur la statue pour la fixer comme si elle était dressée devant lui, est absolument fidèle. Il a dessiné ce que voyaient ses yeux et n’a rien dessiné de plus, ni mains, ni pieds, ni doigts. La validité du croquis est encore renforcée par sa sobriété. Le jeune aspirant de la Marine française n’a pas émaillé l’objet de tous ses soins d’une sorte d’instantané naturaliste, un petit bout de paysage avec des oliviers, ou un morceau de cet horizon marin qu’on ne tarde pas à découvrir dès qu’on tourne derrière le rocher aux allures de tombeau biblique. 

Dans la tête de Voutier, cela peut aussi se justifier par quelque gestation pénible, visible dans le résultat final. Il est manifeste que l’homme ne savait pas dessiner, ou plutôt qu’il savait dessiner suffisamment pour transcrire une première impression avec des traits maladroits et déformer légèrement le visage de la statue qui, sur son croquis, semble un peu plus allongé et souriant qu’il ne l’est en réalité. Cela renforce encore la véracité de son témoignage : un homme qui n’a pas l’aisance de faire ce qu’il veut de ses mains, où trouverait-il la liberté qu’il faut pour recréer la réalité, jouer avec ce que voient ses yeux ? A fortiori quand il doit affronter un tas de complications, les ombres qui s’intensifient à mesure que le soir avance, sa main qui tremble, soit qu’il est pressé, soit qu’il songe à la manière dont réagira le premier à voir son esquisse ! 

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trad. Michel Grodent
02/05/2008 216 pages 21,30 €
Scannez le code barre 9782848050645
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