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Genre
Littérature étrangère
Des millions de jeunes filles impertinentes, intelli- gentes ou non, affrontent chaque jour leur destin, et qu’est-ce que leur destin peut être, tout au plus, que nous devions faire tant de bruit à ce sujet ?
Imaginez une jeune femme en fuite. Ici, où les pentes des petites collines d’Edenmore sont bigarrées par des champs soyeux pas plus grands que des jardins et où, sur les lacs cachés en leur milieu, le soir -et elle n’aurait pas pris la fuite avant la tombée de la nuit -, des poules d’eau glissent en silence sur l’eau claire jusqu’à leur nid dans les roseaux. La maison où May naquit ne se trouvait sur aucune route. Mais, une fois en lieu sûr, elle pouvait prendre un chemin bordé de haies si chargées d’humi- dité que, même au printemps, leurs branches empêchent la lumière de pénétrer. Personne, à moins de se planter devant elle pour lui barrer le passage, n’aurait pu apercevoir sur le chemin plus que la pâleur d’un visage et le brillant d’une chevelure auburn au moment où son châle glissa en arrière. Et le dernier éclat de lumière accrochant les doigts blancs ¢ aux ongles sales, évidemment - qui serraient fortement le châle sous son menton. Mais les gens auraient entendu le martèlement régulier de ses bottillons tandis qu’elle courait vers eux et puis son halètement - en partie dû à la peur, en partie à l’allégresse - et le bruit du lourd balluchon frappant contre sa jupe.
May était forte. Elle avait l’habitude d’effectuer de longs trajets pieds nus pour se rendre aux foires et en ville. Les kilomètres jusqu’à la petite gare où son père ne penserait pas à la chercher ne constituaient pas un problème pour elle. Pourtant elle ne devait pas être une coureuse rapide. Les canons de beauté de cette période - c’était en 1890 ¢ étaient féminins, et elle disait elle-même qu’elle était bien en chair. Elle était grande pour l’époque, et un homme, qui n’avait aucune raison de la flatter, affirma qu’elle était parfaitement proportionnée, ce qui signifie que ses hanches étaient aussi rondes que ses seins. Mais son visage contredisait son corps. Le goût d’alors allait aux femmes aux visages enfantins, et May remplissait totalement cet idéal - le même homme décrivit son « teint délicat de rose et de crème, ses grands yeux bleus ombrés de longs cils et sa bouche dont la lèvre supérieure formait un arc parfait ». Nous ne correspondons pas, de nos jours, à ce genre de description délicieuse, même si l’apparence de l’innocence produit toujours un effet très puis- sant. Cependant, la courbe harmonieuse d’une bouche ou la douceur de la naissance des cheveux sur un front ou une gorge blanche peut être d’un attrait presque douloureux même s’il ne s’agit pas d’une beauté classique. Ce devait être parce qu’elle possédait cette fraîcheur pétillante des filles de la campagne que May avait un grand charme physique.
Son apparence joue un grand rôle dans son histoire. On dit, à Edenmore, qu’elle était une enfant brillante, une excellente élève. Mais c’était une fille, et sur quoi d’autre que sur son physique une fille qui ne possédait rien pouvait-elle fonder sa conviction qu’elle était exceptionnelle ? Et se serait-elle enfuie si elle ne s’était pas crue exceptionnelle ?
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