#Roman étranger

Mort de l'amour

Oscar Van den Boogaard

Mon livre commence par une histoire que raconte Gombrowicz, celle d'un matelot qui avala le bout d'un mince cordage et, par l'action vermiculaire de son tube digestif, se vit hissé jusqu'au sommet du mât de misaine. Mes personnages sont dans la même situation : ils ont dit a, il leur faut dire b, puis c. Ils se retrouvent au sommet du mât, ils ne peuvent agir qu'en fonction de la noyade de Vera, ne rien décider par eux-mêmes, ne rien changer - ou le peuvent-ils ? Sont-ils libres, ou non ? Eternelle question... O. V. D. B. Dans le courant de l'été 1973, Oda Klein s'apprête secrètement à changer de vie, quand sa fillette de huit ans, Véra, se noie. Son mari, Paul, accepte un poste au Surinam pour tenter de surmonter l'épreuve. Il revient quelques années plus tard. Oda est toujours là, sa vie s'est comme arrêtée. C'est alors qu'un mystérieux incendie se déclare dans la maison voisine et qu'une jeune fille de quinze ans émerge des flammes. Le couple la recueille et tente sans succès de croire à l'illusion de refonder une famille. De la noyade de la petite fille au dénouement qui met en lumière les mécanismes de la culpabilité d'Oda, Oscar van den Boogaard construit une intrigue où les personnages semblent les jouets impuissants du destin : la mort de l'enfant, qui empêcha Oda de refaire sa vie, n'a pu qu'entraîner la mort de l'amour, amour adultère et nœud tragique du livre.

Par Oscar Van den Boogaard
Chez Sabine Wespieser Editeur

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Genre

Littérature étrangère

Il était une fois un matelot qui avala le bout d’un mince cordage et, par l’action vermiculaire de son tube digestif, se vit hissé jusqu’au sommet du mât de misaine.

Les filles de huit ans ne comprennent pas ça.
Et en haut du mât...
Inez est allongée dans sa chaise longue, les yeux fixés sur la

piscine. L’eau fait des vagues, clapote contre les parois. Elle compte. Onze, douze, treize.

Vera jaillit à la surface, elle agite les bras, pagaie jusqu’au bord, escalade la margelle.

« Vingt-cinq.
- Non, Inez, vingt-six. Pas tricher. »
La fillette redresse le dos, écarte les bras, fléchit les genoux,

s’éloigne, s’élance dans la lumière, replie les jambes, mains sur les genoux, et plonge.

Inez compte. Onze, douze, treize, quatorze.

L’enfant réapparaît à la surface, agite les bras, pagaie jusqu’au bord, se hisse sur la margelle. 

« Vingt-sept. » 

Elle redresse le dos, écarte les bras, fléchit les genoux et s’élance, replie les jambes, mains sur les genoux, et plonge.

Inez compte. 

Elle réapparaît à la surface, ses longs cheveux lancent une pluie de gouttelettes qui fouettent les buddleias, le chèvre- feuille, la statue avec la grenouille. Elle pagaie vers le bord, se hisse sur la margelle. 

« Inez ? crie-t-elle, à bout de souffle.
- Vingt-huit. »

Inez plisse les yeux. L’eau n’a pas le temps de se calmer. Le premier plan se fond dans l’arrière-plan. Elle s’extrait de son transat et se dirige vers la maison. Dans les fenêtres, elle voit le reflet de Vera qui s’élance. En criant comme un oiseau. Inez ouvre les portes coulissantes de la terrasse et pénètre dans la fraîcheur de la pièce. Le merle, pense-t-elle. Le merle de l’été dernier n’est pas revenu. 

 

Inez remplit un verre de limonade dans la cuisine et res- sort. 

« Vera, viens ici ! » 

L’enfant a disparu sous la surface, l’eau éclabousse les dalles. Elle réapparaît, agite les bras et la tête.

« Vera chérie ! » 

L’enfant s’élance, saute et plonge.
Pas de limonade alors.

 

Elle pose le verre pour Vera sur la table de jardin et rentre dans la maison. S’installe dans un fauteuil en cuir, dos à la fenêtre, et appuie les doigts sur ses tempes. Elle peut rester des heures dans cette position. Les gens qui ont l’habitude d’être seuls s’absorbent en eux-mêmes. Ils n’ont besoin de personne. Elle ne veut pas finir ainsi. Elle préférerait être avec Hans. Elle le suit en pensée. Il est allongé sur son lit, dans une chambre d’hôtel à Boston. Elle se blottit contre lui et pose la main sur son ventre. Elle a toujours cru qu’elle voulait des enfants. Un cri au loin. Le cri de détresse d’un oiseau. Puis le silence. Une cour de récréation. Une averse. Des taches d’ombre et de lumière. Une piscine. Des nuages bas au-dessus des cabines. Inez ouvre les yeux. Elle se lève et sort. 

« Vera ! Vera ? » 

 

Plus tard, elle tente de reconstituer les faits. Les pieds qui cherchent le fond, pour prendre un grand élan, qui trépi- gnent, encore et encore. Avant que le corps soit projeté vers la lumière du monde, vers les cimes des arbres, le mois d’août, les grandes vacances, les jours qui viennent, les choses qu’on n’attend pas, celles auxquelles on n’échappe pas, celles par lesquelles il faut passer pour en être délivré, le dernier souffle  a devancé l’enfant... mille bulles d’air aspirées par un oiseau peut-être, un écureuil ou un phasme. 

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04/02/2003 181 pages 19,25 €
Scannez le code barre 9782848050119
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