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Genre
Littérature étrangère
À présent je suis une mère et aussi une femme mariée, mais il n’y a pas longtemps j’ai été une délinquante. Mon frère et moi on s’était retrouvés orphelins. D’une certaine manière, ça justifiait tout. On n’avait personne. Et tout était arrivé du jour au lendemain.
Nos parents sont morts dans un accident de voiture, au cours des premières vacances qu’ils ont prises seuls, sur une route pas loin de Naples, je crois, ou sur une autre horrible route du Sud. Notre voiture était une Fiat jaune, d’occasion, mais qui avait l’air neuve. Il n’en était resté qu’un tas de ferraille grise. Lorsque je l’ai vue, dans la casse de la police où il y avait d’autres voitures accidentées, j’ai demandé à mon frère de quelle couleur elle était.
— Elle n’était pas jaune ?
Mon frère m’a dit que oui, bien sûr qu’elle était jaune, mais c’était avant. Avant l’accident. Les collisions déforment la couleur ou déforment notre manière de percevoir la couleur. Je ne sais pas ce qu’il a voulu dire par là. Je le lui ai demandé. Il a dit : lumière… couleur… tout. J’ai pensé que le malheureux était plus affecté que moi.
Cette nuit-là, on a dormi dans un hôtel et, le jour suivant, on est retournés à Rome en train, avec ce qui restait de nos parents, accompagnés d’une assistante sociale ou d’une éducatrice ou d’une psychologue, je ne sais pas, mon frère a posé la question et je n’ai pas entendu la réponse parce que j’étais en train de regarder le paysage par la fenêtre.
À l’enterrement, seule une tante est venue, une sœur de ma mère, et, derrière ma tante, il y avait ses deux filles atroces. Je ne l’ai pas quittée des yeux (mais ça n’a pas duré non plus bien longtemps) et, plus d’une fois, j’ai cru découvrir un demi-sourire sur ses lèvres, ou parfois un sourire tout entier, et j’ai su alors (même si en réalité je le savais depuis toujours) que mon frère et moi on était seuls dans ce monde. L’enterrement a été bref. À la sortie du cimetière, on a embrassé notre tante et nos cousines et on ne les a plus revues. Pendant qu’on marchait en direction de la station de métro la plus proche, j’ai dit à mon frère que ma tante avait souri, pour ne pas dire qu’elle avait franchement rigolé, pendant qu’on introduisait les cercueils dans leurs niches respectives. Il m’a répondu que lui aussi s’en était rendu compte.
À partir de ce moment-là, les journées ont changé. Je veux dire, le cours des journées. Je veux dire, ce qui unit et en même temps marque la frontière entre un jour et l’autre. D’un coup, la nuit a cessé d’exister et il n’y a plus eu que soleil et lumière, sans interruption. Au début, j’ai pensé que c’était dû à la fatigue, au choc produit par la disparition soudaine de nos parents, mais lorsque j’en ai parlé à mon frère, il m’a répondu que la même chose lui arrivait. Soleil et lumière et explosion de fenêtres.
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