#Roman francophone

Main courante Tome 2 : Novembre 1998 - 1er avril 1999

Jean-Louis Schefer

Suite discontinue du premier volume. Journal : mauvaises pensées, femmes fatales, la servante, évaporations en tous genres.

Par Jean-Louis Schefer
Chez P.O.L

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Editeur

P.O.L

Genre

Littérature française

August Strindberg a été la découverte de l’an dernier (je n’avais lu jusqu’alors que son théâtre) : son Journal et l’exposition de ses photographies au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Le corps des poissons, plaque de gélatine. Cette espèce d’inspiration par laquelle les choses ou les corps sont recomposés chimiquement pour leurs « affinités électives » est quelque chose d’une confirmation de l’Encyclopédie de Novalis. Photographie réduite à l’essentiel de son opération : l’action de la lumière sur les plaques ; de même que le soleil, tramé par le mouvement de l’eau a peint le corps des poissons, déterminé leurs caractères secondaires et leur forme même (depuis l’enfance je crois à de telles transfusions chimiques, à de tels transports d’effets de signification, à ces déplacements de « caractères » : j’ai dû considérer longtemps le monde comme une peinture en cours).

Ce qui signifie ceci : le milieu dans lequel la lumière opère, se répartit ou fraie son chemin est un fluide, tout comme le temps, provisoirement et schématiquement organisé par la science ou l’habitude historique, est un fluide : c’est, à vrai dire, une mémoire dans laquelle on ne peut toucher à un élément ou à la chaîne des relations sans modifier l’ensemble de ce tissu.

 

Voilà ce que signifie l’idée photographique de Strindberg : il n’y a pas de milieu neutre, le monde est un corps présentant des degrés de sensibilité et de réceptivité (c’est-à-dire de modificabilité) différents. Cela veut dire que le monde, dont nous sommes, est une mémoire ; et que la mémoire est un processus de maintien du milieu sensible du vivant – il intègre ses potentialités passées comme principe dynamique : c’est une pile. La matière se diversifie par une série de décalages de cette mémoire vivante ou intégration dynamique des potentialités. Idée antique des Enfers comme sommeil des potentialités qu’une idée de l’abstraction du temps présente comme termes échus.

 

À y repenser aujourd’hui (par quel tour des jeunes gens si doués sont-ils devenus tellement académiques dans leurs carrières ?) le grand écueil initial, programmatique de Tel Quel a été l’installation d’un programme littéraire déjà ringard à l’époque : il correspondait au fantasme propédeutique du grand écrivain possible dans l’idéologie française (dont le modèle, par superposition, a été tout d’abord Mauriac, Breton, Aragon auxquels on succédé des empêcheurs de tourner en rond : tous étaient des esthètes de la morale : les « libertins » convoqués ont tous été des esthètes moraux). Tout le développement alors en germe de l’image (films, films expérimentaux, bande dessinée) a complètement échappé. L’aventure picturale n’y a été que le patronage de Support/Surface qui s’est vu justifié « philosophiquement » par la pensée de Mao Zedong et dont l’audace esthétique avait déjà fait l’œuvre de Pollock, Ad Reinhardt et Rothko ; nous avons ainsi eu quelques nymphéas qui n’avaient tout d’abord poussé nulle part sinon dans une idée de la peinture. J’ai alors été noté comme réactionnaire (cela ne m’a jamais gêné) pour avoir demandé à deux de ces peintres s’ils savaient aussi dessiner des choses. L’activité du groupe a servi à constituer une pelote para-universitaire (beaucoup des participants n’avaient que peu de formation classique, c’est-à-dire d’aisance intellectuelle et esthétique : c’est pourquoi la politique a servi à rejeter avec horreur l’odieux héritage). Les faits de « modernité » ont tout à fait échappé. Breton a toujours beaucoup intéressé, comme autrefois le Sar Péladan.

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01/10/1999 158 pages 15,45 €
Scannez le code barre 9782867447228
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