#Polar

Des myrtilles dans la yourte

Sarah Dars

Madré, coureur de jupons, buveur obstiné, l’inspecteur Yesügei est aussi un chasseur né. Lorsqu’un touriste américain disparaît au cours d’une chasse aux antilopes saïga, son instinct se réveille. Tenace et patient, il remonte les pistes et ne lâche jamais sa proie. Avec pour fil conducteur, une poignée de myrtilles. Et pour scène de crime, les étendues sans fin d’une terre où le vent semble reculer les limites de l’horizon, une terre sacrée pour ses cavaliers nomades, et livrée aux appétits étrangers qui se disputent âprement ses ressources.

Par Sarah Dars
Chez Philippe Picquier

0 Réactions |

Genre

Policiers

1

CHASSEURS

 

 

 

Larry ouvrit les yeux. Et les referma.

La forte luminosité qui entrait par le hublot l’avait aveuglé. L’avion de la MIAT en provenance de Moscou venait de se poser. Il se sentit tout à coup épuisé par le voyage. Trop d’alcool, peut-être.

Après bien des contretemps, leur projet de chasse en Mongolie allait enfin aboutir. Aussi, avec son copain Ted, avaient-ils fêté l’événement en carburant – depuis le décollage à New York jusqu’à l’atterrissage à Oulan Bator, escale en Russie comprise –, tantôt au champagne, tantôt au whisky, quand ce n’était pas à la vodka.

Larry se massa les tempes et sourit d’un air polisson à la mignonne hôtesse au regard bridé. Il lui aurait bien dit deux mots mais, durant tout le vol, à en juger par la nature de ses prévenances, elle avait plutôt paru le considérer comme son arrière-grand-père. Résigné, Larry soupira et la salua avec bonhomie, tandis qu’il s’engageait sur la passerelle.

L’aéroport international Buyant-Ukhaa – le seul du pays qui eût, leur avait dit un Russe grincheux, une piste goudronnée – parut un peu petit à leurs yeux d’Américains bon teint, mais leur attention fut vite attirée par la délégation venue les accueillir, dont certains membres – les plus jeunes, donc les moins importants – agitaient mécaniquement de petits drapeaux étoilés.

Larry et Ted ne pouvaient ignorer que, malgré les restrictions causées par la protection des espèces en danger, les chasseurs étrangers représentaient pour les Mongols une ressource non négligeable. Ils se virent donc gratifiés, puis bientôt embarrassés, de multiples écharpes blanches de bienvenue. La scène rappelait ces images populaires de facture naïve, vivement colorées, mises à l’honneur pendant l’ère soviétique. Les arrivants ne s’en rendaient pas forcément compte, frappés et éblouis qu’ils étaient par la variété des couleurs autour d’eux. D’un blanc éclatant les dentures, d’un bleu lumineux le ciel, de tous les tons, criards ou éteints, les tuniques ceinturées, d’un noir profond les costumes des officiels.

La presse locale avait d’autant moins manqué le rendez-vous que l’on attendait d’autres visiteurs de marque et, du coup, les photographes mitraillaient sans merci tous les voyageurs étrangers. Ravis de cet accueil inattendu, les Américains saluaient de la main, comme ils l’avaient vu faire à la télévision aux chefs d’État en visite. S’ils avaient été moins candides, ou moins englués dans le piège de l’hospitalité affichée, ils auraient perçu cette condescendance légère que témoigne le Mongol à ces pourvoyeurs de devises qui se prennent pour des chasseurs, alors qu’ils bafouent les règles les plus élémentaires de la chasse, la vraie.

Larry et son compagnon avaient de quoi être satisfaits : Tsering, leur interprète, parlait parfaitement leur langue, avec même une pointe d’accent américain, et le jeune homme se faisait un plaisir de leur signaler tous les centres d’intérêt. Si bien qu’ils trouvèrent plaisant le trajet d’une quinzaine de kilomètres jusqu’au centre d’Oulan Bator. Comme si l’on attendait d’eux l’admiration systématique éprouvée spontanément par les Mongols pour les cours d’eau, les montagnes et les forêts, on les arrêta sur le pont enjambant la Tuula, une rivière transparente au vaste lit, dont ils apprirent que les récentes sécheresses avaient amenuisé le débit de façon alarmante.

Commenter ce livre

 

05/05/2011 316 pages 8,10 €
Scannez le code barre 9782809702675
9782809702675
© Notice établie par ORB
plus d'informations