#Roman francophone

Les passagers de l'Anna C.

Laura Alcoba

Les Passagers de l’Anna C. relate l’incroyable voyage effectué par une poignée de jeunes révolutionnaires argentins au milieu des années 1960. A peine sortis de l’adolescence, ils quittent clandestinement l’Argentine pour s’embarquer dans un périple qui doit leur permettre de rejoindre le Che Guevara. Ils sont prêts à donner leur vie pour qu’advienne la Révolution. Les jeunes gens sillonnent l’Europe avant de rejoindre Cuba. Leur foi révolutionnaire vacillera par moments, tout au long de ces mois d’apprentissage et de questionnements dans un camp d’entraînement cubain. Mais de vraies amitiés naissent, ils font des rencontres inoubliables. La nouvelle de la mort du Che les plonge dans une tristesse sans fond. Ils repartiront de Cuba avec l’espoir de répandre la révolution en Amérique du Sud, et avec un bébé, Laura. Dans le bateau qui les ramène chez eux, l’Anna C., un vieux barman leur apprend que le Che, quand il était étudiant en médecine, a travaillé à bord comme infirmier. Puisant à des sources à la fois familiales et historiques, Laura Alcoba a composé ce roman à partir des souvenirs, parfois lacunaires et contradictoires, des rares survivants de ce voyage, dont ses parents faisaient partie. Elle parvient à reproduire l’atmosphère de Cuba, les discours de Fidel et les conditions de vie parfois misérables des paysans, les contradictions entre l’idéal communiste et les préjugés sexistes (ou la foi catholique), la difficulté pour ces très jeunes gens de se conformer à la discipline militaire. Son récit, abordé par le biais de la vie quotidienne, ne se laisse jamais aller à la nostalgie et restitue avec justesse la jeunesse, les convictions puissantes qui animaient ses parents et leurs camarades.

Par Laura Alcoba
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature française

 

 

Lors de notre traversée de l’Atlantique à bord de l’Anna C., je devais avoir un peu plus d’un mois. Je ne sais pas quel nom je portais à l’époque — mes parents ne s’accordent pas sur la question, comme sur tant d’autres choses. Ce qui est certain, c’est qu’à bord de ce bateau mon nom n’était pas celui sous lequel je suis née. Et que ni l’un ni l’autre ne correspondent à celui que je porte aujourd’hui.

 

*

 

Les témoins que j’ai pu interroger sont tous d’accord sur un point : à l’Ouest, leurs habits ne passaient pas inaperçus. À bord de l’Anna C., tous les membres du groupe dans lequel se trouvaient mes parents portaient des vêtements cubains et soviétiques.

À son arrivée à Santos, au Brésil, comme lorsqu’elle a enfin atteint Buenos Aires à bord d’un second bateau, ma mère portait un manteau vert olive qui couvrait ses jambes jusqu’à mi-mollet, une jupe droite et un pull à col rond d’une couleur tout aussi austère. En la voyant débarquer à Buenos Aires, mes tantes ont pouffé : ça, elles s’en souviennent toutes parfaitement. C’est que dans les grandes villes d’Amérique du Sud comme à Paris les filles portaient alors des minijupes coupées dans des tissus fleuris et des cuissardes noires. Comme Brigitte Bardot.

Soledad n’avait pas encore vingt ans mais elle était déjà maman — de Laura Sentis Melendo ou de Laura Rosenfeld. À moins que ce ne fût de Laura Moreau. Ou Moreaux. Peut-être sa fille s’appelait-elle à l’époque Laura Godoy ? Ma mère ne sait plus très bien.

 

*

 

Ma mère ne sait plus très bien, parfois, et il arrive que mon père ne se souvienne pas davantage. Pourtant, depuis de longs mois, je m’efforce de reconstruire ce bout d’histoire : deux grands adolescents (mes parents) s’embarquant à l’insu de leurs proches pour aller à Cuba. Pour vivre librement un amour auquel s’opposait mon grand-père maternel qui craignait une mésalliance et pour y recevoir la clé qui leur permettrait de changer le monde. L’un et l’autre se confondant à l’époque dans leur esprit.

Ils quittèrent leur domicile au début du mois de septembre 1966, y retournèrent au milieu de l’année 1968. Après avoir réalisé un drôle de périple qui les conduisit de Buenos Aires à Paris, de Paris à Prague, de Prague à La Havane. Où ils ont vécu près d’un an et demi. Puis de La Havane à Prague et de Prague à Gênes. Où ils prirent l’Anna C. avec quelques compagnons, de fortune ou d’infortune. Plus un bébé né par accident dont personne n’a pu me dire quel pouvait bien à l’époque être le nom.

 

Comment tu t’appelais à bord de l’Anna C. ? Mais je ne sais pas, je ne sais plus. Voilà ce que ma mère m’a dit et répété maintes fois. — Et toi, papa, te souviens-tu du jour où le bateau a atteint les côtes brésiliennes, peux-tu me dire au moins si c’était bien au mois de mai ? Et l’identité qui était la tienne à bord de l’Anna C., es-tu vraiment sûr de l’avoir oubliée ? — Je crois bien, oui. En tout cas je ne saurais être affirmatif.

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05/01/2012 219 pages 17,90 €
Scannez le code barre 9782070134922
9782070134922
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