#Roman francophone

Sulak

Philippe Jaenada

Il était jeune, il était beau, il s'appelait Bruno Sulak, et fut, au début des années 80, l'homme le plus recherché de France. Gentleman braqueur, il défraya la chronique judiciaire et séduisit tous ceux qui l'approchèrent, jusqu'au célèbre policier qui mit fin à cinq années de cavale effrénée. De sa vie tourmentée, Philippe Jaenada a fait un roman biographique captivant. Comme le dira plus tard le commissaire Georges Moréas, en d'autres circonstances, Bruno Sulak aurait pu devenir un des meilleurs flics de France. Mais le hasard a fait de lui un braqueur, sans doute le plus audacieux et le plus fascinant de son époque. Après avoir grandi à Marseille et brièvement fréquenté quelques voyous, Bruno intègre l'armée. Doté d'une mémoire prodigieuse, doué dans toutes les disciplines, il est rattrapé par un vol de motocyclette commis à l'adolescence. On le chasse sans le moindre égard. Il rejoint alors la Légion, comme son père. Sportif émérite, il s'entraîne au parachutisme, et bat le record de chute libre. Mais on lui refuse l'homologation de son exploit, à moins de s'engager pour 5 ans de plus. Une injustice qui le pousse à faire le mur pour aller passer le week-end en famille. Pendant son absence, l'ordre est donné à son régiment d'embarquer pour le Zaïre et ce qui n'était qu'une escapade devient une désertion. Il ne peut plus rentrer et bascule alors dans la délinquance. Avec son fidèle complice Drago, il se lance alors dans le braquage de supermarchés, rencontre la belle Thalie, une jeune fille de bonne famille qui va participer à certains vols à mains armée, au volant de la Simca que Bruno utilise comme une signature à chacun de ses hold-up. Incarcéré une première fois, il étudie l'anglais et le droit, puis s'évade au nez et à la barbe des gardiens. Il s'attaque à des bijouteries, se présente chez Cartier en tenue de tennisman, une raquette à la main, profite d'une visite officielle d'Helmut Khol pour aller cambrioler un joailler parisien dans un quartier truffé de policiers... Adepte de la non-violence, il n'a jamais blessé personne, avait toujours deux balles à blanc dans son revolver au cas où on le forcerait à tirer. Généreux, épris de liberté, révolté par l'injustice, il se tint jusqu'au bout à son code d'honneur et ne dénonça jamais ses complices. Mais sa dernière incarcération à Fleury-Mérogis lui fut fatale: son ultime tentative d'évasion tourna à la tragédie et suscite encore la polémique. Il fallait toute l'ironie et le second degré de Philippe Jaenada pour trouver la bonne distance vis-à-vis de ce personnage magnifique. Construit sous forme d'anecdotes croisées, son récit nous permet de suivre en simultané l'évolution des personnages clefs qui vont s'associer à Sulak. Avec son humour pince-sans-rire et son style inimitable (usage immodéré des parenthèses, digressions en chaîne... ), Jaenada imagine ce que la vie de Sulak aurait pu être si tel ou tel événement ne s'était produit, montrant par là les hasards qui président au destin d'un homme. D'une grande tendresse à l'égard de son personnage, il dresse le portrait d'un homme intègre et retrace avec nostalgie cette époque où les gangsters avaient encore du panache.

Par Philippe Jaenada
Chez Points

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Editeur

Points

Genre

Littérature française

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Le mardi 24 juin 1980, Bruno et Yves ont presque fini de scier les barreaux de leurs cellules, qui ne tiennent plus que par quelques millimètres de métal. Dans la rue, de l’autre côté du mur d’enceinte, Jean-Pierre attend près de sa voiture – il ne se sent pas très bien ce soir-là. À 1 h 30 du matin, Bruno donne le signal à Yves par talkie-walkie (Jean-Pierre, qui écoute le sien, lance une corde à nœuds par-dessus le mur et pose une échelle de son côté pour leur descente), ils achèvent le travail sur les barreaux, Yves sort par la fenêtre du rez-de-chaussée, Bruno saute par celle du premier, quatre mètres, et se réceptionne sans problème dans la cour (il se laissait tomber de deux fois plus haut à la Légion sans s’étonner une rotule), ils détalent comme des lapins, des kangourous, franchissent comme des singes deux grillages successifs surmontés de rouleaux de barbelés, ils sont dans une condition physique explosive, ils s’entraînent depuis plus d’un an, l’envie de liberté et la peur de ne pas l’obtenir décuplent leurs forces et anéantissent la douleur, le deuxième grillage est franchi, le mur est maintenant tout proche, ils courent, Bruno s’empare le premier de la corde, comme prévu par le concours de pompes, grimpe vite, et Yves monte à son tour, juste derrière.

Tous les projecteurs de la cour s’allument. Normalement, ils le savent, aucun maton ne fait de ronde entre une et 3 heures du matin. Mais cette nuit, l’un d’eux a eu envie de pisser, comme par hasard, maudit instinct des vessies, et les a vus escalader le premier grillage.

Dans leur dos, au moment où la lumière frappe la cour, les surveillants se mettent tous à gueuler – Bruno, surpris (le mot ne contient pas, loin s’en faut, tout ce qu’il serait nécessaire d’y mettre), relâche son étreinte sur la corde, ses pieds heurtent la tête d’Yves, qui lui évite la chute –, les matons hurlent, leur ordonnent d’arrêter ou ils tirent. Les beaux-frères savent qu’ils ne sont pas armés, se ressaisissent et reprennent rageusement l’ascension. Mais avant que Bruno n’ait atteint le haut du mur, un silence total se fait soudain derrière eux. Par réflexe, irrépressible, ils tournent la tête ensemble : les matons immobiles regardent vers les miradors, ou deux de leurs collègues armés de gros fusils mettent les fuyards en joue, prêts à tirer.

Propulsé par le besoin d’air, le refus de rester enfermé, animé par un courage, une audace qui marqueront Yves pour toujours, qui lui viennent de la certitude instantanée qu’il ne reviendra plus jamais en arrière, qu’il sera désormais contre le monde, Bruno envoie au diable la possibilité de mourir, avale le dernier mètre de chanvre en attendant une balle dans le dos et se jette la tête la première de l’autre côté du mur en s’accrochant comme il peut à l’échelle de corde. Yves n’a pas bougé, son cœur s’est arrêté, et il sait de toute façon qu’il n’aurait pas eu le temps de faire la même chose. Il se laisse retomber sur le sol de la cour, les matons se ruent sur lui.

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01/03/2024 499 pages 9,90 €
Scannez le code barre 9791041416424
9791041416424
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