Je m’appelle Turambo et, à l’aube, on viendra me chercher.
« Tu ne sentiras rien », m’a rassuré Chef Borselli.
Qu’en sait-il, lui, dont la jugeote tiendrait à peine dans un dé à coudre ?
J’ai envie de lui hurler de la fermer, qu’il m’oublie pour une fois, mais je suis laminé. Sa voix nasillarde m’effraie autant que les minutes qui appauvrissent mes restes d’existence.
Chef Borselli est embêté. Il ne sait pas trouver les mots qui apaisent. Toute sa rhétorique se réduit à quelques formules ordurières qu’il ponctue de coups de matraque.Je vais te briser la gueule comme un miroir,plastronnait-il.Comme ça, chaque fois que tu te materas dans une glace, ça te fera sept ans de malheur…Manque de pot, il n’y a pas de glace dans ma cellule, et dans le couloir de la mort le sursis ne se calcule pas en nombre d’années.
Ce soir, Chef Borselli est forcé de ravaler sa bave et ses jurons, et ça le déstabilise. Son affabilité improvisée ne sied guère à sa fonction de brute ; je dirais même qu’elle le dénature. Je le trouve pathétique, décevant, aussi chiant que la crève. Il n’est pas dans ses habitudes d’être aux petits soins pour un taulard qu’il tabasse juste pour ne pas perdre la main. Pas plus tard qu’il y a deux jours, il m’a mis face au mur et m’a défoncé la figure contre la pierre – j’en porte encore la trace sur le front.Je m’en vais t’arracher les châsses et te les foutre au cul,a-t-il tonitrué pour que le monde entier l’entende. De cette façon, ça te fera quatre burnes et alors seulement tu pourras me regarder en face sans me froisser…Un cave muni d’un gourdin avec la permission de s’en servir à sa guise. Un coq en pâte à modeler. Il se dresserait sur ses plus hauts ergots qu’il ne m’arriverait pas à la ceinture, mais je suppose qu’on n’a pas besoin de s’encombrer d’un escabeau lorsqu’une vulgaire trique met les colosses à genoux.
Depuis que Chef Borselli a installé sa chaise en face de ma cellule, il n’est pas bien. Il n’arrête pas de s’éponger dans un bout de mouchoir et de ressasser des théories qui le dépassent. Sûr qu’il aimerait être ailleurs, dans les bras d’une gourgandine soûle comme une vache, ou bien au beau milieu d’un stade en liesse parmi une foule d’énergumènes braillant à casser la baraque pour tenir à distance les soucis du monde, enfin n’importe où pourvu que ça soit à mille lieues de ce couloir qui pue face à un pauvre type qui ne sait où donner de la tête en attendant de la restituer à qui de droit.
Je crois que je lui fais de la peine. Après tout, qu’est-ce qu’un maton sinon le bougre de l’autre côté de la grille, un remords en jachère. Chef Borselli doit certainement regretter ses excès de zèle maintenant que, dans le silence sépulcral de la cour, l’échafaud s’érige en stèle.
Je ne pense pas l’avoir détesté outre mesure. Le pauvre diable ne fait que s’acquitter du rôle minable qui lui échoit. Sans son uniforme, qui lui prête un soupçon de relief, il se ferait bouffer cru plus vite qu’un macaque tombé dans un marigot rempli de piranhas. Mais en prison, c’est comme au cirque : d’un côté il y a les fauves en cage, de l’autre les dompteurs armés de cravache. Les lignes de démarcation sont claires ; celui qui les ignore ne doit s’en prendre qu’à lui-même.
Extraits
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