#Polar

12, rue Meckert

Didier Daeninckx

Alors que Maxime Lisbonne boucle son enquête sur les " disparues de Châteauroux ", deux journalistes avec lesquels il faisait équipe, dix ans auparavant, sont assassinés. Persuadé qu'il est le prochain sur la liste, il exhume les archives du journal J'enquête qui l'obligent à se pencher dangereusement au-dessus de la fosse commune où gisent les " disparues de Châteauroux ". Dans son périple, il ne cesse de se cogner au fantôme de son homonyme, le colonel Maxime Lisbonne, un Communard unijambiste ami de Louise Michel, déporté en Nouvelle Calédonie, et qui inventa le strip-tease en 1884, rue des Martyrs.

Par Didier Daeninckx
Chez Editions Gallimard

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Genre

Policiers

À Marcel Cerf, qui m’a fait découvrir « Maxime Lisbonne, le d’Artagnan de la Commune ».

J’ai besoin du crime, retombant sur le monstre et non sur sa victime.

VICTOR HUGO

Je réponds toujours que c’est à cause du risque de cancer, quand on me demande pourquoi je reste seul, dans la profession, à ne pas avoir de téléphone portable. En vérité, je me fiche tout autant du crabe, du prion que du hérisson : ce que je ne supporte pas, c’est de me condamner moi-même à la mise à disposition perpétuelle. Aucun refus du modernisme, je clique à qui mieux mieux sur la toile, je scanne, j’envoie mes articles par e-mail, en pièces jointes, je prends des photos numériques. Pas davantage de posture philosophique avantageuse, non, juste le souvenir d’un collègue à côté duquel je me soulageais la vessie contre un mur de ferme berrichonne, alors qu’à cent mètres de là les serres des bulldozers exhumaient les restes d’une dizaine de gamines martyrisées par Buffin, un jardinier. On alignait les bières en attendant la déclaration du procureur. Avide d’infos, il a plongé les mains dans ses poches de veste aux premières notes de la Cucaracha, délaissant son autre appareil qui lui a arrosé les jambes d’abondance. En clair, je ne cotise pas chez Bouygues pour ne pas me pisser dessus. Si je veux être tout à fait franc, je ne supportais déjà pas, accédant à l’hygiaphone d’une quelconque administration après un quart d’heure de piétinement, que le préposé se colle sa banane en plastique bourrée d’électronique contre l’oreille, la joue, les lèvres, à la première stridence, et se contente de me jeter quelques regards faussement désolés entre deux hochements de tête. Ce n’est pas dans mes habitudes d’en faire des tonnes, de me prendre pour le centre du monde, mais il me semble qu’une civilisation a du plomb dans l’aile si une voix transitant par une vulgaire prise est plus importante que l’enveloppe humaine recrue de fatigue plantée derrière un guichet.

Contrairement à ses promesses, la fille de la concierge n’avait pas relevé le courrier pendant mon absence, et la boîte régurgitait lettres et prospectus malgré l’autocollant « stop-pub » apposé sous mon nom. J’ai balancé la réclame dans la poubelle, fourré les enveloppes dans le sac, au-dessus du linge sale, avant d’entreprendre l’ascension vers le cinquième. Je n’ai même pas allumé la lumière, je me suis laissé tomber sur le canapé. La semaine passée à Châteauroux m’avait brisé le moral, et pas seulement à cause de l’accumulation de détails sordides sur le calvaire des gamines. Difficile de se l’avouer, mais à force on se blinde, comme si l’expérience faisait écran. La première fois qu’on se met à table devant les amoncellements de cadavres du journal télévisé, le steak, sous la dent, vous attrape un drôle de goût d’agonie. À force de prendre des coups, le regard se fait de la corne, on mâche en cadence. Ce qui m’avait tué, c’était les piaules toutes identiques, avec vue sur l’échangeur, auxquelles me contraignait l’avance minable concédée par l’agence. La seule distraction, à part la télécommande vissée sur la table de nuit, face au capteur infrarouge du récepteur, c’était le défilé des chauffeurs routiers chez les horizontales qui se partagent deux chambres du rez-de-chaussée louées à l’année. Ici, je me suis organisé une solitude plus accueillante ; ça permet au moins d’en profiter.

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16/10/2001 208 pages 8,15 €
Scannez le code barre 9782070420889
9782070420889
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