INTRODUCTION
Plus que jamais, l’école est au cœur de la société française. Au point qu’une fiction reconstruisant le quotidien d’une classe « difficile » emporte la Palme d’or 2008 au Festival de Cannes. Entre les murs, de Laurent Cantet, entend montrer des recettes de profs. Recettes qui fonctionnent ou qui échouent, pour un film ancré dans la réalité de la classe. Un film qui brouille les catégories et montre cette vie scolaire avec distance et empathie. La distance de la caméra, la distance d’un film adapté d’un roman… et la proximité d’un prof écrivain, François Bégaudeau, qui écrit son propre rôle et le joue dirigé par un réalisateur lui-même fils d’instits, qui a passé sa jeunesse entre les murs d’une cour d’école. On s’extrait de la réalité tout en y étant de plain-pied. Et le spectateur apprécie.
En 2002, c’est un documentaire qui avait ému les foules. Avec son million d’entrées dans le monde dès 2004, Être et avoir, de Nicolas Philibert, a été un immense succès. Hier, les spectateurs venaient voir Jojo et son maître dans la petite école de Saint-Étiennesur-Usson, en Auvergne. Aujourd’hui, ils viennent voir une fiction réaliste se déroulant dans un collège du 20e arrondissement de Paris. Dans les deux cas, on sent bien que c’est le mystère de la classe qui attire le spectateur. Parce que, dans notre pays, l’école conserve une place fondamentale, après avoir joué un rôle central dans la construction de la nation. Alors, on ne demande qu’à voir et à entendre.
Les débats autour des méthodes de lecture, de la formation des maîtres, des programmes à enseigner au primaire, plus spécialement lorsqu’il s’agit de débattre de la place de l’orthographe ou de la grammaire, n’en finissent plus d’intéresser – voire de passionner – les foules. Mais ils sont souvent faussés car trop politisés. Dès qu’une voix s’élève, il faut l’attribuer à un camp. Qui parle ? Un républicain ou un pédagogue ? Un « réac » ou un progressiste ? À force de vouloir assigner le débat à résidence politique, on le sclérose. À force de le contraindre à entrer dans des cases, on le caricature. La réalité de l’école est tout autre, et nous allons tenter de la présenter en esquissant le profil de ses acteurs principaux, ceux qui la font vivre au jour le jour, et surtout à travers le portrait de ceux qui dessinent l’école du troisième millénaire : les nouveaux maîtres.
Une culture différente
Citadelles assiégées, les salles des profs hier tenues par les anciens sont en train de tomber aux mains des nouveaux. Ici et là, ils commencent même à devenir noyau central, voire majoritaires. Place donc à ces enseignants tout neufs, qui présentent un nouveau profil et sont capables, nous en faisons le pari, de changer l’école.
Il y a eu les « nouveaux publics », ces vagues d’élèves qui ont successivement envahi le collège et le lycée, et qui colonisent aujourd’hui l’enseignement supérieur, au fil d’une démocratisation des échelons du système scolaire. Aujourd’hui, c’est de l’autre côté du bureau qu’a lieu le changement. Ils étaient 22 000 en 2008 à décrocher un très exigeant concours d’aptitude à l’enseignement, dont le taux moyen de réussite est inférieur à 15 %, et ils s’installent peu à peu dans une institution qui voit partir les bataillons d’anciens. Les « historiques » qui leur laissent la place ont été les artisans de ces démocratisations successives. Arrivés à l’aube des années 1970, ils ont assuré l’instruction des « nouveaux collégiens » (qui, quelques décennies plus tôt, se seraient arrêtés à la fin de la communale) et raccrochent aujourd’hui, faisant valoir leur droit à la retraite. Jamais le monde enseignant n’a connu un tel bouleversement. En nombre, d’abord, puisque selon les prévisions les plus vraisemblables, 135 000 des enseignants de la maternelle aux classes supérieures de lycée vont définitivement ranger la trousse entre 2008 et 2012, soit 15 % des effectifs. La moyenne annuelle des départs sera de 27 000 d’ici à cette date. Autrement dit, 44 % de ceux qui étaient là en 2002 seront partis dans une décennie.
Extraits
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