#Essais

Dexia. Vie et mort d'un monstre bancaire

Pierre-Henri Thomas

Avec un bilan de 650 milliards d’euros, Dexia était le Lehman Brothers européen. Si la banque était réellement tombée en faillite, elle aurait entraîné dans sa chute une bonne partie du système financier mondial. Des mois après son sauvetage, l’importance des garanties consenties par les États pèse encore sur les finances publiques : celles de la France, mais surtout celle de la Belgique, qui a consenti à garantir le financement de Dexia à hauteur de 54 milliards d’euros, soit 15 % du PIB belge. Le groupe, qui a perdu plus de 13 milliards d’euros en trois ans, est un condensé de tous les maux accumulés dans le système financier ces dernières années : produits dérivés, crédits toxiques, financement hasardeux, investissements catastrophiques, croissance débridée, plantureux bonus, régulateurs impuissants… Un rêve se brise : celui des fondateurs de Dexia, qui se flattaient d’avoir donné naissance à la première banque européenne. Pourquoi un tel désastre ? Comment une banque classique a-t-elle pu se transformer en véritable hedge-fund (fonds spéculatif) ? Comment les produits toxiques ont-ils pu faire tomber les finances de certaines municipalités ? Pourquoi les gendarmes financiers ont-ils été impuissants ? Autant de questions qui permettent à l’auteur de se livrer à l’autopsie d’un monstre bancaire. Au-delà du cas particulier, celle-ci permet de mieux comprendre pourquoi le système financier est encore boiteux aujourd’hui. Et pourquoi l’Europe financière et politique a tant de mal à se faire.

Par Pierre-Henri Thomas
Chez Les Petits Matins

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Genre

Economie

 

LE MYSTÈRE DES ARNOLFINI

Ou pourquoi l’histoire d’une banque peut être
le reflet condensé de la mégalomanie des banquiers,
de l’égoïsme des nations et des faiblesses de l’Europe

 

 

Le visiteur qui, à Londres, arpente la nouvelle aile de la National Gallery, construite il y a près de trente ans grâce à la générosité des Sainsbury, tombe invariablement en arrêt, dans l’une des premières salles, devant le portrait des époux Arnolfini, réalisé en 1434. Jan Van Eyck y représente un riche marchand toscan et sa jeune épouse. Ils sont campés dans une chambre à coucher, debout à côté d’un lit à baldaquin. Lui pose un regard de biais qui porte bien plus loin que la scène présente. Demain porte la certitude de richesses à venir. Il tient dans sa main la main de sa femme, paume ouverte. Elle regarde son époux et caresse de sa main libre son ventre épanoui par la promesse d’une future naissance.

Ce tableau fascine depuis six siècles. C’est l’un des premiers portraits non hagiographiques de la Renaissance flamande. La position des mains des deux époux a donné lieu à de nombreux commentaires. Mais, surtout, le chef-d’œuvre montre en son centre un petit miroir convexe qui reflète la totalité de la pièce, le dos des jeunes époux et même, au loin, Jan Van Eyck lui-même, se mettant en scène en train de peindre le tableau. Une partie qui reprend le tout. C’est l’un des plus fameux exemples de ce qu’on appelle la mise en abyme.

Ce que l’on sait moins, c’est que, dans les pays nordiques, ces miroirs avaient leur utilité : ils étaient souvent placés près d’une fenêtre pour éclairer une pièce trop sombre. On les appelait « miroirs de sorcière ». Ne renvoyaient-ils pas une image difforme des objets et des êtres ? On les soupçonnait de receler quelque mystère malfaisant. Certains les appelaient aussi « miroirs de banquier ». Car, en un coup d’œil, un homme d’argent pouvait embrasser l’ensemble d’une pièce et s’assurer que ses coffres gonflés de richesses n’étaient l’objet d’aucune convoitise.

Le groupe Dexia, dont la chute menace les finances de la Belgique et de la France, est l’un de ces miroirs. Tout à la fois miroir de banquier, miroir aux maléfices et mise en abyme des impuissances de l’Europe. L’histoire du groupe permet en effet de toucher du doigt la fragilité existentielle de la zone euro, la folle stratégie des banques des années 2000, et les maléfices et les potions toxiques qui ont causé la mort d’un certain système.

Pour celui qui veut peindre l’Europe financière des dix dernières années, Dexia en reflète, en miniature, les mythes, les erreurs et les maladies. On y voit en effet des banquiers mégalomanes, des nations obnubilées, parfois jusqu’à l’aveuglement, par la défense de leur intérêt national et une Europe génétiquement malade parce qu’elle n’a pas rassemblé tous les chromosomes nécessaires à l’élaboration d’un système financier sain et solide.

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06/09/2012 266 pages 16,00 €
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