LE MYSTÈRE DES ARNOLFINI
Ou pourquoi l’histoire d’une banque peut être
le reflet condensé de la mégalomanie des banquiers,
de l’égoïsme des nations et des faiblesses de l’Europe
Le visiteur qui, à Londres, arpente la nouvelle aile de la National Gallery, construite il y a près de trente ans grâce à la générosité des Sainsbury, tombe invariablement en arrêt, dans l’une des premières salles, devant le portrait des époux Arnolfini, réalisé en 1434. Jan Van Eyck y représente un riche marchand toscan et sa jeune épouse. Ils sont campés dans une chambre à coucher, debout à côté d’un lit à baldaquin. Lui pose un regard de biais qui porte bien plus loin que la scène présente. Demain porte la certitude de richesses à venir. Il tient dans sa main la main de sa femme, paume ouverte. Elle regarde son époux et caresse de sa main libre son ventre épanoui par la promesse d’une future naissance.
Ce tableau fascine depuis six siècles. C’est l’un des premiers portraits non hagiographiques de la Renaissance flamande. La position des mains des deux époux a donné lieu à de nombreux commentaires. Mais, surtout, le chef-d’œuvre montre en son centre un petit miroir convexe qui reflète la totalité de la pièce, le dos des jeunes époux et même, au loin, Jan Van Eyck lui-même, se mettant en scène en train de peindre le tableau. Une partie qui reprend le tout. C’est l’un des plus fameux exemples de ce qu’on appelle la mise en abyme.
Ce que l’on sait moins, c’est que, dans les pays nordiques, ces miroirs avaient leur utilité : ils étaient souvent placés près d’une fenêtre pour éclairer une pièce trop sombre. On les appelait « miroirs de sorcière ». Ne renvoyaient-ils pas une image difforme des objets et des êtres ? On les soupçonnait de receler quelque mystère malfaisant. Certains les appelaient aussi « miroirs de banquier ». Car, en un coup d’œil, un homme d’argent pouvait embrasser l’ensemble d’une pièce et s’assurer que ses coffres gonflés de richesses n’étaient l’objet d’aucune convoitise.
Le groupe Dexia, dont la chute menace les finances de la Belgique et de la France, est l’un de ces miroirs. Tout à la fois miroir de banquier, miroir aux maléfices et mise en abyme des impuissances de l’Europe. L’histoire du groupe permet en effet de toucher du doigt la fragilité existentielle de la zone euro, la folle stratégie des banques des années 2000, et les maléfices et les potions toxiques qui ont causé la mort d’un certain système.
Pour celui qui veut peindre l’Europe financière des dix dernières années, Dexia en reflète, en miniature, les mythes, les erreurs et les maladies. On y voit en effet des banquiers mégalomanes, des nations obnubilées, parfois jusqu’à l’aveuglement, par la défense de leur intérêt national et une Europe génétiquement malade parce qu’elle n’a pas rassemblé tous les chromosomes nécessaires à l’élaboration d’un système financier sain et solide.
Extraits
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