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Trafic N° 87, automne 2013

POL

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Par POL
Chez P.O.L

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Auteur

POL

Editeur

P.O.L

Genre

Cinéma

Le fond de l’air est frais. Sa surface aussi.

ALEXANDRE VIALATTE

La sortie de salle est un moment crucial dans la vie d’un spectateur. C’est avec son premier pas dans la rue que celui-ci retombe sur le vacarme de la ville, ses mouvements désordonnés, son climat changé, sa lumière amoindrie, ses trajectoires incomplètes comme jetées au-devant de lui, bref, tout un cours des choses qu’il avait abandonné le temps du film, qui lui revient et le frappe de plein fouet. Ce moment est précieux car l’homme, pas encore retourné à l’état civil, dispose d’un instant fugace pour surprendre le monde tel qu’il était sans lui, indifférent, vidé de sa présence et continuant malgré tout, un peu moins familier. À ce moment-là, l’homme est encore un revenant. Il revient à lui-même et à la vie, chargé d’un film, ce petit bout d’expérience mise en boîte qu’il a accepté de troquer contre la sienne ; et, à mesure qu’il s’éloigne de la salle et endosse sa pelisse d’homme ordinaire, qu’il revient dans le rang et se fond dans le mouvement, le film se décharge autour de lui, au rythme de ses pas, dans une réalité qui reprend corps au contact des images. Ce film auquel il vient d’assister, il faut maintenant l’emporter avec lui pour le mettre à l’épreuve du quotidien, voir s’il lui résiste ou non, s’il adhère ou non à son expérience, s’il opère ou non en quelque part de sa vie : tout un temps d’intégration qui décidera si, oui ou non, « l’expérience fut profitable ».

À Cannes, ce temps précieux n’existe pas. Il faut apprendre à s’en passer. Le festivalier est un hyper-spectateur qui passe huit à dix heures de ses journées devant des films, situation de dérèglement qui le stimule, l’enivre, mais inverse complètement son rapport à l’extérieur. Le ciel qu’il retrouve entre deux projections, au-dessus de sa tête, n’est qu’une bribe différentielle d’une journée qui s’est déroulée sans lui, dont il s’est tenu à distance. La vie grouillante qui lui saute au visage sur la Croisette, il doit la mettre de côté, se faufiler entre les badauds pour se glisser de nouveau dans une salle et flotter le long d’un autre ruban de lumière, parallèle à celle du jour. Cette vie, il sent plus intensément que jamais qu’elle lui échappe, lui coule entre les doigts. Son corps et son esprit épousent la forme verticale des grands fauteuils rouges qui deviennent, peu à peu, comme sa carapace, vissée au parterre. Topographiquementpris en tenaille dans le golfe de La Napoule, écrasé par les éminences qui le surplombent et le poussent vers la mer, le festivalier est sans cesse rejeté vers les salles ; il sent que chaque film prélève quelque chose de sa substance vitale, le laissant chaque fois un peu plus ahuri, et ce temps de projection, qui se trouve d’ordinaire logé dans le creux de l’existence, s’apparente ainsi étendu à une douce marche vers la mort, à un effeuillement accéléré de ses heures terrestres. Puisque le temps manque pour réinvestir les films dans le champ de l’expérience, ceux-ci emporteront, chacun à leur tour, quelque chose de leur voyeur – une dîme, un écot –, tapissant la progression aveugle du festival et son hystérie grisante d’un sentiment de dépossession.

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12/09/2013 144 pages 17,00 €
Scannez le code barre 9782818019122
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