#Roman francophone

Pampa

Pierre Kalfon

Au bout du monde, en Argentine, une plaine immense, la Pampa! Quand il s'en échappe enfin, en 1859, après trois ans d'une captivité implacable chez les Indiens, le Français Guinnard ignore que de ses amours avec une jeune Indienne va naître un gamin au destin étonnant. Un western argentin plein de bruit et de fureur...

Par Pierre Kalfon
Chez Points

0 Réactions |

Editeur

Points

Genre

Romans historiques (poches)

Il galopait dans la nuit, la peur au ventre. Avant tout, mettre la plus grande distance entre lui et eux. Entraînant deux autres chevaux dans sa fuite insensée, c’est à peine s’il devinait son chemin.

Au matin cependant, la prudence l’emporta. Il connaissait l’acuité du regard des Indiens de Calfoucoura. Dans cette pampa sans relief, à l’horizon infini, le moindre soupçon d’un nuage de poussière l’aurait dénoncé. Il mit pied à terre, laissa paître les trois bêtes, assuré qu’elles ne s’éloigneraient pas. Toute la journée, il resta terré, minuscule, écoutant la houle du vent, ne dormant que d’un œil, toujours aux aguets, l’oreille collée au sol.

Au cours de ses trois années de captivité, vendu de tribu en tribu, maltraité par les uns et les autres, onze fois il avait tenté de fuir, onze fois il avait été rattrapé, battu, humilié, supplicié comme un chien galeux, laissé pour mort. Mais il avait conservé la rage de survivre. Cette fois, il avait beau avoir plus de deux jours d’avance sur ses poursuivants avant qu’ils ne sortent de leur ébriété, il n’en poussait pas moins sa monture sans répit. Il fallait à tout prix que cette tentative fût la bonne. Autrement, il le savait, le châtiment serait sans merci.

La nuit était son alliée. Pour rejoindre les territoires chrétiens, cap au nord. Dès la tombée du jour, quand le ciel virait du rose au gris, il se remettait en route, devançant les étoiles sur lesquelles, à présent il savait s’orienter. Cela, il l’avait volé aux Indiens, les observant avec attention, dans son coin, soir après soir, des mois durant.

À mesure qu’il avançait, la prairie allait se transformant, par endroits, en un désert sec et pelé. Il choisissait les parties herbeuses qui, relevées par la rosée du matin, effaceraient sa piste. Quant aux chevaux, il se fiait à leur dressage pour éviter, même dans les ténèbres, les redoutablesvizcacheras. Ces petites fondrières de sable et de terre, creusées par les lièvres de la pampa, les vizcachas, étaient des pièges naturels où plus d’un coursier au galop s’était cassé une jambe.

Au quatrième jour, à l’aube, l’un de ses trois chevaux tomba d’épuisement, incapable de se relever. Ce fut le signal. Le cavalier se contraignit à réduire le rythme. Il s’imposa quelques pauses, adopta le grand trot allongé qui permet d’aller loin sans trop crever sa monture. Perdre ses chevaux en pareille circonstance eût été fatal. Sur cette pampa océan, sans écho, immense et désolée, se retrouver à pied, marcheur dérisoire, valait condamnation sans appel. Il en avait payé le prix. La faim, la soif, les chiens sauvages, féroces et affamés, ne lui laisseraient aucune chance.

Jusque-là, la crainte de se faire repérer l’avait empêché de chasser dans la journée. La faim lui en fit prendre le risque. Avec le couteau que lui avait offert Aïlen et les boleadoras dont il s’était muni avant de s’enfuir, il pourrait survivre. Les jours précédents, il s’était contenté, avec ses bêtes, d’une eau boueuse qu’il avait trouvée en creusant le sol avec sa lame, comme il l’avait vu faire. Il n’eut pas besoin d’enfourcher son cheval pour attraper une viscache, justement, puis une belette à la course maladroite. Mais c’est au galop, sur la monture la moins fourbue, qu’il réussit à lancer ses bolas tournoyantes autour des pattes d’unvenado, un petit daim dont il but le sang chaud et déchira la chair crue à pleines dents. Trois ans de vie indienne brutale et sauvage avaient eu raison de ses haut-le-cœur de « civilisé ».

Commenter ce livre

 

19/06/2008 487 pages 8,10 €
Scannez le code barre 9782757809273
9782757809273
© Notice établie par ORB
plus d'informations