#Essais

Le mot qui tue. Les violences intellectuelles de l'Antiquité à nos jours

Patrick Boucheron, Vincent Azoulay

Il est des mots qui tuent - symboliquement, lorsqu'il s'agit de ruiner la réputation d'un adversaire, ou physiquement, quand le mot d'ordre se fait slogan. Dès lors, s'interroger sur la notion de violences intellectuelles revient à poser la question de la responsabilité de ces professionnels de la parole que sont les intellectuels. Ce livre collectif entend le faire dans la longue durée de l'analyse historienne : de l'attaque ad personam dans la rhétorique romaine à l'imaginaire guerrier des intellectuels contemporains, en passant par les formes de la dispute médiévale ou de la controverse savante à l'époque moderne. Dans tous les cas, il s'agit bien de mettre au jour les règles et les usages de la polémique, mais aussi d'identifier les moments où les règles sont transgressées, remettant en cause l'ensemble du système.

Par Patrick Boucheron, Vincent Azoulay
Chez Champ Vallon Editions

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Genre

Sciences historiques

 

Le sujet de cet ouvrage n’est évidemment pas neutre. Que l’on soit intellectuel ou non, chacun d’entre nous entretient une relation ambiguë avec la violence qui, tout à la fois, nous atterre et nous attire. Nous demeurons dans une profonde ambivalence avec elle : certes la violence effraie mais elle fascine tout autant, à preuve le succès de certaines œuvres littéraires ou cinématographiques qui mettent en scène récits et images d’atrocités. On comprend donc tout de suite que faire de la violence un objet de recherche en histoire et plus largement en sciences sociales n’est jamais un exercice simple et anodin. Il n’est pas facile pour qui veut la penser de se mettre à distance de son objet, car celui-ci touche à la domination, à la transgression et à la mort.

Vous entendez pourtant faire fi de cette difficulté première et posez avec quelque impertinence une question plus spécifique et dérangeante pour la « communauté intellectuelle » tout entière : celle de son propre rapport à la violence. Votre entreprise revient en effet à renverser la perspective convenue sur le sujet. Il ne s’agit pas ici d’étudier en quoi les intellectuels peuvent être, en tout temps et en tout lieu, victimes de l’arbitraire et de l’oppression, ce qui les conduit parfois à connaître la stigmatisation, le bannissement, voire la mort. Sur ces mille et une manières de clouer au pilori la liberté de créer et de penser, il existe déjà une abondante littérature. Le fil rouge de votre propos n’est donc pas là. Vous vous demandez plutôt comment les intellectuels eux-mêmes peuvent devenir acteurs de violence, non seulement à travers leurs propos et écrits, mais aussi dans leurs manières d’être au monde, d’être en conflit les uns avec les autres. Il n’est pas si commun que des chercheurs s’interrogent ainsi sur leurs propres pratiques. La démarche est pour le moins pertinente et courageuse.

Comment donc penser ce que vous osez appeler ici les « violences intellectuelles » ? Arrêtons-nous déjà sur cette expression. Car elle pourrait vous être reprochée dans le cadre même de la discipline historique. Votre projet consiste à vouloir rien moins que tester cette notion à travers les siècles. Quelle audace !

Car vous savez bien que le seul mot de « violence » ne va pas de soi. Dans quelle mesure en effet ce que nous nommons aujourd’hui de la « violence » peut-il avoir un sens équivalent pour des hommes et des femmes de l’époque médiévale ou antique ? Il y a là un grand risque d’anachronisme. Puisque les mentalités à travers les siècles connaissent de profondes modifications et ne sont donc tout simplement pas comparables. Ainsi le mot « violence » a-t-il vraiment un sens pour un citoyen de la Grèce antique ? De l’empire romain ? Est-il plus pertinent à l’époque des croisades ? Dans sonHistoire du viol, Georges Vigarello a par exemple montré que celui-ci n’est pas séparable de la construction progressive de la notion contemporaine de victime1. Dans mes propres travaux sur le génocide, je remarque aussi que des expressions comme meurtre de masse, viol de masse, ou des termes plus spécifiques comme démocide, urbicide, classicide sont des produits typiques de notre modernité.

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01/04/2009 378 pages 27,00 €
Scannez le code barre 9782876735040
9782876735040
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