#Polar

La mort s'invite à Pemberley

P. D. James

Rien ne semble devoir troubler l'existence ordonnée et protégée de Pemberley, le domaine ancestral de la famille Darcy, dans le Derbyshire, ni perturber le bonheur conjugal de la maîtresse des lieux, Elizabeth Darcy. Elle est la mère de deux charmants bambins ; sa sour préférée, Jane, et son mari, Bingley, habitent à moins de trente kilomètres de là ; et son père adulé, Mr Bennet, vient régulièrement en visite, attiré par l'imposante bibliothèque du château. Mais cette félicité se trouve soudain menacée lorsque, à la veille du bal d'automne, un drame contraint les Darcy à recevoir sous leur toit la jeune sour d'Elizabeth et son mari, que leurs frasques passées ont rendu indésirables à Pemberley. Avec eux s'invitent la mort, la suspicion et la résurgence de rancunes anciennes.Dans La mort s'invite à Pemberley, P.D. James associe sa longue passion pour l'ouvre de Jane Austen à son talent d'auteur de romans policiers pour imaginer une suite à Orgueil et Préjugés et camper avec brio une intrigue à suspense. Elle allie une grande fidélité aux personnages d'Austen au plus pur style de ses romans policiers, ne manquant pas, selon son habitude, d'aborder les problèmes de société - ici, ceux de l'Angleterre du début du XIXe siècle.

Par P. D. James
Chez Fayard

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Editeur

Fayard

Genre

Policiers

PROLOGUE
Les Bennet de Longbourn


Les habitantes de Meryton s'accordaient à penser que Mr et Mrs Bennet avaient eu bien de la chance de trouver des maris à quatre de leurs cinq filles. Meryton, un petit bourg du Hertfordshire, ne figure sur l'itinéraire d'aucun voyage d'agrément, n'ayant à offrir ni cadre pittoresque ni épisode historique notable. Quant à Netherfield Park, son unique grande demeure, aussi imposante soit-elle, elle n'est pas mentionnée dans les ouvrages consacrés aux architectures remarquables du comté. La ville possède une salle des fêtes où se tiennent régulièrement des bals, mais elle n'a pas de théâtre, et la plupart des divertissements restent confinés dans les maisons particulières, où les ragots viennent adoucir l'ennui des dîners et des tables de whist qui rassemblent invariablement la même société.
Une famille de cinq filles à marier peut être assurée de susciter l'intérêt et la compassion de tous ses voisins, surtout lorsque les distractions sont rares. Or la situation des Bennet était particulièrement fâcheuse. En l'absence d'un héritier mâle, le domaine de Mr Bennet devait en effet revenir à son cousin, le révérend William Collins, lequel, comme Mrs Bennet aimait à le déplorer à grands cris, était légalement en droit de les expulser de chez elles, ses filles et elle, avant même que son époux ne reposât, froid, dans sa tombe. Il faut convenir que Mr Collins avait cherché à réparer ce tort, dans la mesure de ses possibilités. Malgré le dérangement que lui imposait cette démarche, mais avec l'approbation de sa redoutable protectrice Lady Catherine de Bourgh, il avait quitté sa paroisse de Hunsford dans le Kent pour rendre visite aux Bennet, dans la charitable intention de se choisir une épouse parmi leurs cinq filles. Ce projet fut accueilli avec enthousiasme par Mrs Bennet, laquelle jugea cependant préférable de l'avertir que, selon toute vraisemblance, Miss Bennet, l'aînée, serait fiancée sous peu. Son choix s'était donc porté sur Elizabeth, la deuxième en âge et en beauté, mais il s'était heurté à un refus inébranlable qui l'avait contraint à chercher une réponse plus favorable à ses prières auprès de l'amie d'Elizabeth, Miss Charlotte Lucas. Miss Lucas avait reçu sa demande avec un empressement flatteur et l'avenir auquel pouvaient s'attendre Mrs Bennet et ses filles avait été ainsi tranché, sans que la plupart de leurs voisins en conçoivent un trop grand regret. À la mort de Mr Bennet, Mr Collins envisageait d'installer ces dames dans un des plus spacieux cottages du domaine, où elles bénéficieraient de la nourriture spirituelle de sa tutelle et de l'alimentation matérielle des reliefs de la table de Mrs Collins, agrémentées d'un occasionnel présent de gibier ou d'une flèche de lard.
La famille Bennet avait toutefois eu le bonheur d'échapper à ces bienfaits. À la fin de l'année 1799, Mrs Bennet pouvait s'enorgueillir d'être la mère de quatre filles mariées. Certes, Lydia, la benjamine, qui n'avait que seize ans, ne s'était pas unie sous les meilleurs auspices. Elle s'était enfuie avec le lieutenant George Wickham, un officier de la milice en garnison à Meryton, et l'on pouvait prévoir en toute confiance que cette fredaine s'achèverait comme il se doit : Wickham l'abandonnerait, elle serait chassée du toit paternel, rejetée par la bonne société et connaîtrait la déchéance ultime que la décence interdisait aux dames d'évoquer. Pourtant, le mariage avait eu lieu : la nouvelle avait été annoncée par un voisin, William Goulding, qui passant à cheval devant l'équipage de Longbourn, avait vu la toute fraîchement mariée Mrs Wickham poser la main sur la portière, par la vitre ouverte, afin que chacun pût admirer son alliance. La sœur de Mrs Bennet, Mrs Philips, faisait preuve d'un zèle remarquable pour répandre sa version de la fugue. Elle racontait que le jeune couple, en route pour Gretna Green, avait fait une brève halte à Londres où Wickham tenait à informer sa marraine de ses noces prochaines ; Mr Bennet était venu à la recherche de sa fille et, à son arrivée, les jeunes gens s'étaient rendus aux arguments de la famille : ils avaient admis qu'il serait plus commode de se marier à Londres. Personne ne croyait un mot de cette fable, mais l'on reconnaissait que l'inventivité de Mrs Philips méritait qu'on fît au moins semblant d'y ajouter foi. Il n'était évidemment plus question de recevoir George Wickham à Meryton, où il risquait de porter atteinte à la vertu des servantes et aux profits des commerçants, mais si son épouse devait se présenter parmi eux, on était généralement prêt à accorder à Mrs Wickham la généreuse tolérance dont avait joui précédemment Miss Lydia Bennet.
On s'interrogeait beaucoup sur les dispositions de ce mariage précipité. Les biens de Mr Bennet rapportaient à peine deux mille livres par an, et l'on estimait généralement que Mr Wickham avait dû en exiger au moins cinq cents pour consentir à cette union, en plus du règlement de toutes ses notes impayées à Meryton et ailleurs. Le frère de Mrs Bennet, Mr Gardiner, avait certainement mis la main à la bourse. C'était, chacun le savait, un homme cossu, mais il avait une famille et s'attendait certainement à ce que Mr Bennet lui rende ce qu'il lui avait prêté. Les occupants de Lucas Lodge s'inquiétaient fort à l'idée que l'héritage de leur gendre pût être diminué par cette nécessité, mais lorsqu'on constata qu'aucun arbre n'était abattu, aucune terre vendue, aucun domestique renvoyé et que le boucher ne manifestait aucune réticence à livrer à Mrs Bennet son habituelle commande hebdomadaire, on en conclut que Mr Collins et cette chère Charlotte n'avaient rien à craindre et que, aussitôt Mr Bennet décemment enterré, Mr Collins pourrait prendre possession du domaine de Longbourn dans l'assurance qu'il était demeuré intact.
Les fiançailles de Miss Bennet et Mr Bingley de Netherfield Park, célébrées peu après le mariage de Lydia, suscitèrent en revanche une entière approbation. Elles n'étaient pas à proprement parler inattendues : l'admiration que Jane inspirait à Mr Bingley avait été manifeste dès leur première rencontre à l'occasion d'un bal. La beauté de Miss Bennet, sa douceur et l'optimisme ingénu touchant la nature humaine qui l'incitait à ne jamais dire de mal de quiconque la rendaient aimable aux yeux de tous. Mais quelques jours après l'annonce des fiançailles de son aînée avec Mr Bingley, se répandit le bruit d'un triomphe plus éclatant encore de Mrs Bennet, une rumeur qui fut d'abord reçue avec incrédulité. On prétendait en effet que Miss Elizabeth Bennet, la cadette, allait épouser Mr Darcy, le propriétaire de Pemberley, un des plus grands domaines du Derbyshire, dont la rente, disait-on, s'élevait à dix mille livres par an.
Il était de notoriété publique à Meryton que Miss Lizzie détestait Mr Darcy, un sentiment généralement partagé par les dames et les messieurs qui avaient assisté au premier bal auquel Mr Darcy avait accompagné Mr Bingley et les deux sœurs de celui-ci, et lors duquel il avait donné d'abondantes preuves de son orgueil et de son mépris arrogant pour la société, faisant clairement comprendre, malgré les encouragements de son ami Mr Bingley, qu'aucune jeune fille de l'assistance n'était digne d'être sa cavalière. De fait, lorsque Sir William Lucas lui avait présenté Elizabeth, Mr Darcy avait refusé de danser avec elle, déclarant ensuite à Mr Bingley qu'elle n'était pas assez jolie pour le tenter. On tenait pour admis qu'aucune femme ne saurait se féliciter de devenir Mrs Darcy car, comme l'avait fait remarquer Maria Lucas, « qui pourrait souhaiter prendre son petit déjeuner pour le restant de ses jours devant visage aussi revêche ? ».
Cependant, nul ne pouvait reprocher à Miss Elizabeth Bennet de s'être rangée à une opinion plus sage, et plus optimiste. On ne saurait tout avoir dans la vie, et n'importe quelle jeune femme de Meryton aurait supporté pire infortune qu'un visage revêche au petit déjeuner pour épouser dix mille livres de rente par an et être la maîtresse de Pemberley. Les dames de Meryton, comme de juste, ne demandaient qu'à plaindre les affligés et à féliciter ceux à qui le destin souriait, mais il faut de la modération en tout, et la chance de Miss Elizabeth dépassait les bornes. Elle était plutôt jolie, toutes étaient prêtes à le reconnaître, et avait de beaux yeux, mais elle ne possédait rien d'autre qui la recommandât à un homme de dix mille livres par an et il ne fallut pas longtemps avant qu'une coterie des commères les plus influentes ne parvînt à cette conclusion : Miss Lizzie avait décidé de mettre le grappin sur Mr Darcy dès leur première rencontre. Et quand on eut pris toute la mesure de sa stratégie, force fut de reconnaître qu'elle avait fort habilement joué ses cartes. Bien que Mr Darcy eût refusé de l'inviter à danser au bal, son regard s'était fréquemment posé sur elle et sur son amie Charlotte, laquelle, après plusieurs années de chasse au mari, était devenue experte à déceler le moindre signe d'un éventuel penchant et avait conseillé à Elizabeth de ne pas laisser son évidente inclination pour le séduisant et populaire lieutenant Wickham la conduire à froisser un homme d'une importance dix fois supérieure.
On n'avait pas oublié non plus l'épisode du dîner auquel Miss Bennet avait été invitée à Netherfield et où sa mère avait exigé qu'elle se rendît à cheval au lieu de s'y faire conduire dans la voiture familiale. Jane avait fort opportunément pris froid et, comme l'avait prévu Mrs Bennet, avait dû passer plusieurs nuits à Netherfield. Elizabeth, bien sûr, était venue lui rendre visite à pied et la bonne éducation de Miss Bingley ne lui avait laissé d'autre possibilité que d'offrir l'hospitalité à cette visiteuse importune jusqu'au rétablissement de Miss Bennet. Ce séjour de presque une semaine en compagnie de Mr Darcy avait probablement accru les espoirs de succès d'Elizabeth, qui n'avait certainement pas manqué de tirer le meilleur parti possible de cette intimité forcée.
Par la suite, sur l'insistance des plus jeunes membres de la famille Bennet, Mr Bingley lui-même avait organisé un bal à Netherfield et ce soir-là, Mr Darcy avait enfin dansé avec Elizabeth. Les chaperons, alignés sur leurs chaises le long du mur, avaient relevé leurs faces-à-main et, comme le reste de l'assemblée, soumis le couple qui rejoignait la file des danseurs à un examen méticuleux. Sans doute la conversation entre les deux jeunes gens n'avait-elle pas été très animée, mais le fait même que Mr Darcy eût invité Miss Elizabeth à danser et qu'elle ne l'eût pas repoussé était un sujet d'intérêt et de spéculation.
L'étape suivante de l'opération de séduction d'Elizabeth avait consisté à rendre visite à Mr et Mrs Collins au presbytère de Hunsford en compagnie de Sir William Lucas et de sa fille Maria. En temps normal, Miss Lizzie aurait certainement décliné pareille invitation. Quel plaisir une femme douée de raison pouvait-elle éprouver à passer six semaines en compagnie de Mr Collins ?Nul n'ignorait qu'avant d'être accepté par Miss Lucas, il avait jeté son dévolu sur Miss Lizzie. Au-delà de toute autre considération, la délicatesse aurait dû inciter cette dernière à se tenir à l'écart de Hunsford. Mais elle ne pouvait ignorer que Lady Catherine de Bourgh était la voisine et la protectrice de Mr Collins et que son neveu, Mr Darcy, serait certainement de passage à Rosings pendant leur séjour au presbytère. Charlotte, qui ne dissimulait à sa mère aucun détail de sa vie conjugale, santé de ses vaches, de ses volailles et de son mari comprise, lui avait écrit par la suite que Mr Darcy et son cousin, le colonel Fitzwilliam, lui aussi en visite à Rosings, étaient fréquemment venus au presbytère pendant qu'Elizabeth s'y trouvait ; il était même arrivé un jour à Mr Darcy de venir sans son cousin, alors qu'Elizabeth était seule. Cette marque d'estime, Mrs Collins en était certaine, confirmait que Mr Darcy était en train de tomber amoureux et elle ajoutait qu'à son avis, son amie aurait accepté avec empressement l'un ou l'autre de ces gentlemen s'ils lui avaient fait leur demande. Néanmoins, Miss Lizzie était rentrée chez elle sans que rien n'eût été réglé.

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trad. Odile Demange
30/05/2012 392 pages 22,00 €
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