#Polar

La ronde des mensonges

Elizabeth George

Un jeune homme est retrouvé noyé dans le hangar à bateau d'un château du Lake District – apparemment, il s'agirait d'une mort accidentelle. Son oncle, le richissime industriel Bernard Fairclough, demande à Lynley d'enquêter dans la plus grande discrétion sur ce drame. Les suspects sont nombreux : l'héritier, ex-drogué repenti, ses soeurs Manette et Mignon, sa femme, Alatea ravissante Argentine dont il est passionnément épris ainsi que la galerie de personnages secondaires hauts en couleur qui les entourent !

Par Elizabeth George
Chez Presses de la Cité

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Genre

Policiers

10 octobre

 

Fleet Street
La City

C'était la première fois que Zed Benjamin était convoqué dans le bureau de son rédacteur en chef. Ce qu'il éprouvait se situait entre appréhension et euphorie. Une appréhension qui inondait ses aisselles de sueur et une euphorie qui faisait battre son cœur, pour une raison obscure, dans la pulpe de ses pouces. Mais puisqu'il avait décidé d'emblée qu'il était essentiel de considérer Rodney Aronson comme n'importe quel autre confrère de son journal, The Source, il attribua sa transpiration excessive aussi bien que la curieuse pulsation au bout de ses pouces au fait qu'il avait troqué à une date quelque peu prématurée son unique costume d'été contre son unique costume d'hiver. Il se promit de repasser au plus léger dès le lendemain, si tant est que sa mère, voyant qu'il avait procédé à son changement saisonnier, ne l'ait pas déjà déposé chez le teinturier. Ce serait elle tout craché, se dit Zed. Sa maman était tout à la fois serviable et organisée. Un peu trop même à son goût.
Il regarda autour de lui : les sujets de distraction ne manquaient pas dans le bureau de Rodney Aronson. Pendant que ce dernier lisait son article, il passa en revue les gros titres des vieux exemplaires du tabloïd encadrés au mur. Scabreux et stupides, à l'instar des articles qui flattaient les plus bas instincts de la psyché humaine. L'escort boybrise le silence. Un scoop sur le racolage en voiture d'un garçon de seize ans par un député de la Chambre des communes non loin de la station de métro King's Cross. Leur petit quart d'heure romantique avait été interrompu par l'arrivée inopinée de la brigade des mœurs. Mais avant ce titre, il y avait eu le député accusé de prostitution sur mineure dans un « triangle sexuel », et tout de suite après, le « drame » du suicide de l'épouse du même député. The Source avait sur toutes ces affaires obtenu l'exclusivité, ayant été le premier journal à se trouver sur les lieux, le premier à sortir l'information et le premier à graisser la patte à des indicateurs afin de pimenter de détails salaces des scandales qui dans n'importe quelle publication respectable auraient été traités avec des pincettes ou enterrés dans les pages intérieures, sinon les deux. Ce principe semblait spécialement s'appliquer à des sujets brûlants : Le prince surpris dans une bagarre de chambre, Le palais royal sous l'onde de choc après les révélations de l'écuyer et Encore un divorce dans la famille royale ?, ces titres tapageurs avaient à chaque coup, d'après les ragots de la cafétéria, augmenté les ventes de The Source de plus de cent mille exemplaires. Voilà le style de reportage qui faisait la réputation du tabloïd. Tout le monde dans la salle de rédaction savait que si vous n'aviez pas envie de remuer le linge sale des autres, alors vous n'aviez rien à faire dans le journalisme d'investigation tel qu'il était pratiqué entre ces murs.
Et il fallait bien l'avouer, c'était le cas de Zedekiah Benjamin. Il n'avait aucune envie d'être grand reporter d'investigation à The Source. Il se voyait plutôt dans la peau d'un éditorialiste du Financial Times, un type à la carrière auréolée de respectabilité dont la renommée lui permettrait de se livrer à sa véritable passion, qui était la poésie. Or, les postes d'éditorialiste étant aussi rares qu'un caleçon sous un kilt, il était bien obligé de travailler pour subvenir à ses besoins, étant donné que le métier de poète ne rapportait rien. Aussi Zed s'efforçait-il de se conduire à tout instant comme un homme professionnellement comblé par la traque aux bourdes des célébrités et aux écarts de conduite de la famille royale. Toutefois, il se plaisait à croire que même un torchon pareil pouvait être hissé un peu plus haut que le caniveau – son niveau habituel –, où, il ne fallait pas se leurrer, personne ne contemplait les étoiles.
Le papier que Rodney Aronson était en train de lire correspondait à cette ambition. Dans l'esprit de Zed, un tabloïd n'avait pas besoin de se rouler dans la fange des informations lubriques pour captiver le lecteur. Il pouvait au contraire se montrer édifiant et rédempteur, tout en demeurant vendeur. Certes, un papier tel que le sien n'allait pas faire la une, mais il serait parfait pour le supplément dominical, quoique une double page centrale du quotidien n'eût pas été mal non plus, illustrée par des photos et annoncée par un chapeau en première page. Zed y avait passé un temps fou. À son avis, sa prose méritait son pesant d'encre d'imprimerie. Il offrait aux lecteurs de The Source ce qu'ils aimaient, avec un zeste de raffinement en bonus. On y trouvait le récit des fautes d'un père et de son fils, de ruptures douloureuses, d'abus d'alcool et de drogue, avec au bout du compte la rédemption. C'était l'histoire d'un bon à rien pris dans les rets mortels de la méthamphétamine, qui, à la onzième heure de sa vie – plus ou moins –, parvenait à s'en sortir et à repartir de zéro, puisqu'il avait vécu une sorte de renaissance en se consacrant, contre toute attente, aux plus démunis. Il y avait là-dedans des méchants, des héros, des adversaires de poids, un amour durable ; des lieux exotiques, des valeurs familiales, l'affection parentale. Et, par-dessus tout...
— Une belle merde.
Rodney Aronson jeta les feuilles de Zed sur le côté et se tripota la barbe, d'où il délogea un copeau de chocolat qu'il porta sans hésiter à sa bouche. Tout en lisant, il avait mangé une barre chocolatée aux noisettes Cadbury et, à présent, il explorait sa table des yeux, sans doute dans l'espoir d'y découvrir une deuxième friandise, dont il n'avait au demeurant nul besoin, étant donné sa corpulence que dissimulait mal la saharienne XXL qui était sa tenue de bureau.
— Quoi ? s'exclama Zed qui pensait avoir mal entendu.
Il chercha un mot qui rime avec merde, son supérieur ne pouvait quand même pas avoir condamné son papier à croupir en bas de la page 20 ou pire.
— C'est chiant, dit Rodney. J'ai jamais rien lu d'aussi soporifique. Tu m'avais promis quelque chose d'alléchant si je t'envoyais là-bas. Tu m'avais juré que c'était croustillant, je crois me rappeler... Si je déboursais de quoi te loger dans un hôtel pour je ne sais combien de jours...
— Cinq, précisa Zed. C'était une enquête compliquée et plusieurs interviews étaient nécessaires si l'on voulait garantir l'objectivité que nous...
— Bon, d'accord. Cinq. Il va falloir qu'on discute de ton choix d'hôtel, au fait, parce que j'ai vu la facture et je me demande si cette putain de chambre n'est pas fournie avec des danseuses. Quand on envoie quelqu'un dans le Cumbria pour cinq jours aux frais du journal, quelqu'un qui vous jure de vous rapporter un scoop d'enfer...
Rodney ramassa les feuilles et les agita dans les airs avant d'enchaîner.
— Sur quoi tu as investigué exactement ? Qu'est-ce que c'est que ce titre à la con ? « La neuvième vie ». Monsieur l'a pêché où, dans un de ses cours fumeux de litté-râture ? Ou dans un râtelier d'écriture, peut-être, hein ? Alors, comme ça, on se croit romancier ?
Zed savait parfaitement que le rédacteur en chef n'avait pas fait d'études supérieures. Cela aussi, il l'avait appris grâce aux potins de la cafétéria. Sotto voce, on lui avait prodigué ce conseil peu après son embauche au journal : surtout garde-toi de lui rappeler de quelque manière que ce soit que tu as eu une licence avec une mention Très Bien, ou même simplement Bien, ou de prononcer quoi que ce soit qui ait un lien avec l'université. Il ne supporte pas, il croira que tu te fiches de lui. Alors, ferme-la quand la conversation dérape vers ce genre de chose.
C'est ainsi qu'il tourna sept fois sa langue dans sa bouche avant de répondre à la question de Rodney concernant le titre de son papier.
— Je pensais en fait aux chats.
— Tu pensais aux chats...
— Oui, on dit qu'ils ont neuf vies.
— Ah, d'accord. Mais on ne s'occupe pas de chats, si ?
— Non, bien sûr que non. Quoique...
Zed n'était pas sûr de ce que le rédacteur voulait entendre, de sorte qu'il changea son fusil d'épaule et se lança dans une explication un tantinet longuette.
— ... Bon, voilà, eh bien, ce type a suivi huit cures de désintoxication, dans trois pays différents, et rien n'a marché, je veux dire, vraiment rien. Oh, il est peut-être resté clean pendant six ou huit mois. Une fois pendant un an. Mais ensuite il a toujours replongé... La meth... Et puis un beau jour, il échoue dans l'Utah, où il rencontre une femme extraordinaire, et subitement le voilà devenu un autre homme. Il n'a jamais regardé en arrière.
— Vous vous changez, changez d'Kelton, c'est tout ? Sauvé par le pouvoir de l'amour, c'est ça, hein ?
Zed, ragaillardi par le ton affable de son rédacteur en chef, opina.
— C'est tout à fait ça, Rodney. Et le plus incroyable, c'est qu'il est guéri. Il rentre chez lui, sans veau gras, mais enfin...
— Sans veau quoi ?
Une allusion biblique : mauvaise pioche. Zed se dépêcha de faire machine arrière.
— Passons. Bon, il rentre chez lui et se mobilise pour venir en aide aux inaidables. (Ce mot existait-il ?) Pas ceux qu'on penserait, genre des jeunes mecs et des nanas avec la vie devant soi. Non, les rebuts de la société. Des vieux types qui vivent à la dure, rejetés de partout...
Comme Rodney ouvrait de grands yeux, Zed poursuivit en toute hâte :
— Des pauvres épaves qui mangent ce qu'il y a dans les poubelles en crachant leurs chicots. Il les sauve. Il pense qu'ils valent la peine d'être sauvés. Et ils jouent son jeu. Ils sont guéris, eux aussi. Après toute une vie d'ivrogne ou de junkie, ils s'en sortent, c'est vrai.
Zed reprit son souffle et attendit la réaction de Rodney. Ce dernier répliqua d'une voix calme, mais d'un ton qui montrait qu'il n'était pas convaincu par le plaidoyer de Zed.
— Ils reconstruisent une tour, Zed. Ils ne sont pas guéris : dès qu'elle sera terminée ils retourneront à la rue.
— Je ne crois pas.
— Pourquoi ?
— Parce que c'est une tour d'un genre spécial. On les appelle des tours Pele. Ce sont des tours de guet fortifiées. C'est ce qui donne sa force à mon histoire... La métaphore.
Zed avait conscience de s'aventurer sur un terrain dangereux avec sa figure de style, de sorte qu'il débita d'un seul trait :
— Quand on réfléchit à l'usage que l'on faisait de ces tours, ça se comprend mieux. Elles ont été construites le long de nos frontières pour nous protéger contre les pillards... oui, oui, ces sales types qui venaient d'Ecosse dans l'intention de nous envahir. Eh bien, dans notre cas, les pillards, c'est la drogue, vu ? La meth. La coke. Le smack. La dope. Comme vous voudrez. La tour de guet représente la rédemption et la guérison. Autrefois, chaque étage avait un usage différent. Le bas était réservé aux bêtes, le premier étage à la cuisine et aux tâches domestiques et le second au repos, c'est là que les soldats tuaient le temps et dormaient. Et le toit, eh bien, du toit ils faisaient pleuvoir leurs flèches sur les pillards écossais et, qui sait, peut-être aussi de l'huile bouillante. Alors, si on regarde la tour sous cet angle et si on fait un parallèle avec la vie d'une personne qui est à la rue depuis... dix ou quinze ans ?... alors...
Rodney piqua du nez sur la table et, d'un signe de la main, signifia à Zed qu'il pouvait déguerpir.
Zed ne se laissa pas démonter. Même si on lui donnait congé, il n'était pas question de partir la queue entre... Flûte, encore une métaphore. Bref, il n'allait pas baisser les bras si facilement.
— C'est ce qui rend cet article exceptionnel. Un papier à publier dans le supplément du dimanche. Je le vois déjà dans le magazine, quatre pleines pages illustrées de photos : la tour fortifiée, les types en train de la restaurer, des états des lieux avant et après, ce genre de choses...
— Une belle merde soporifique, proféra Rodney, toujours le front sur son bureau. Ce qui est, soit dit en passant, une métaphore. Et puis, y a pas de sexe dans ton truc.
— Pas de sexe, répéta Zed, songeur. La femme de l'ex-junkie est super-sexy, mais elle n'a pas voulu que l'on parle d'elle ni de leur couple. Elle dit que c'est lui qui...
— Pas ce sexe-là, mais ça ! le coupa Rodney en se redressant et en claquant des doigts. L'excitation, la tension dramatique, ce qui tient le lecteur en haleine, le fait bander sans qu'il comprenne ce qu'il lui arrive. Est-ce que c'est clair ? Ton papier manque de sexe, coco, un point c'est tout.
— C'était pas le but. C'est un papier pour donner du courage aux gens, leur rendre l'espoir.
— Le courage et l'espoir, c'est pas notre rayon, tu vois. Nous, on vend un canard. Et crois-moi, c'est pas avec ces conneries qu'on va cartonner. Ici, on a notre propre label de journalisme d'investigation. Pendant ton entretien d'embauche, t'avais l'air d'être au courant. C'est pas pour ça que tu t'es trimbalé dans le Cumbria ? Pour une enquête sur le terrain ? Alors, bordel de merde, enquête !
— C'est ce que j'ai fait.
— Mon cul ! Tu t'es laissé embobiner...
— Pas du tout !
— ... et mener par le bout du nez.
— Pas du tout !
— Tu veux me dire que ça...
Il désigna du doigt les feuillets en ajoutant :
— C'est tout ce que tu nous rapportes ? T'as rien d'autre à nous mettre sous la dent ?
— Bon, je vois un peu où... mais, en fait, une fois qu'on connaît le gars...
— Il te tient par les couilles, pardi. Et au final, t'as investigué sur que dalle.
Jugeant cette conclusion injuste, Zed rétorqua :
— Comme si l'histoire d'un gars qui tombe dans l'addiction, qui fout sa vie en l'air alors que ses parents font tout ce qu'ils peuvent pour l'en sortir et qui enfin de compte s'en sort tout seul... Ce gars-là, il s'est presque étranglé avec la légendaire cuillère en argent... C'est pas de l'investigation ? C'est pas sexy ? Sexy selon ta définition ?
— La descente aux enfers d'un fils à papa dans la toxicomanie, et après ? répliqua Rodney en bâillant à se décrocher la mâchoire. C'est quelque chose de nouveau, peut-être ? Tu veux que je te cite le nom de dix autres sacs à merde qui sont à flanquer dans la même poubelle ? Ce sera vite fait.
Zed se sentit soudain vidé. Tout ce temps gâché, tous ces efforts en vain, toutes ces interviews menées pour rien, ou plutôt - il fallait bien l'admettre - dans l'intention secrète, étant donné que le Financial Times n'embauchait pas en ce moment, de se servir du tremplin offert par The Source et de publier un papier digne de retenir l'attention et de le propulser sous les projecteurs. Peine perdue. C'était criant d'injustice. Après avoir réfléchi aux options envisageables, il finit par déclarer :
— OK. Je comprends votre point de vue. Et si je tentais de nouveau ma chance ? Si je retournais là-bas et creusais un peu plus le sujet ?
— Quel sujet, bon sang de bois ?
La question n'était pas idiote, il fallait bien le reconnaître. Zed passa en revue dans son esprit tous les gens à qui il avait parlé : l'ex-junkie, sa femme, sa mère, ses sœurs, son père, les pauvres clodos qu'il s'employait à sauver. Y avait-il quelque part un protagoniste qui ait échappé à son enquête ? Forcément, il y en avait toujours.
— Rien n'est certain, répondit-il, mais je peux toujours fureter un peu à droite et à gauche... Tout le monde a quelque chose à cacher. Tout le monde répond à vos questions par des mensonges. Et si on pense à tout ce que le journal a déjà déboursé pour cet article... Ce serait du gâchis de ne pas lui donner une seconde chance.
Rodney repoussa son fauteuil en arrière et parut peser sérieusement le pour et le contre. Puis il appuya sur un bouton et aboya à l'adresse de sa secrétaire :
— Wallace. Vous êtes là ?... Allez me chercher un autre Cadbury. Toujours aux noisettes.
Il se tourna alors vers Zed.
— D'accord, à condition que ce soit à tes frais. Sinon, c'est niet.
Zed cilla. Cela changeait tout. Il était au bas de l'échelle des journalistes de The Source, avec un salaire en rapport. Il calcula de tête le prix d'un billet de train, plus la location d'une voiture, plus l'hôtel - peut-être un bed and breakfast de dernière catégorie, par exemple chez une vieille dame qui louait une piaule au fond d'une ruelle à... où ça ? Pas au bord d'un des lacs. Trop onéreux, même à cette époque de l'année, non, il faudra la prendre à... Et serait-il payé pendant son séjour dans le Cumbria ? Il en doutait. Il demanda :
— Je peux réfléchir un peu avant de donner ma réponse ? Vous n'allez pas refuser mon article tout de suite ? Il faut que je fasse mes comptes, si vous voyez ce que je veux dire.
— Regarde ce que tu veux, lui répondit Rodney avec un rictus qui prouvait que sourire ne lui venait pas naturellement. Je te le répète, c'est ton temps, c'est ton fric.
— Merci, Rodney.
Ne comprenant pas vraiment de quoi il remerciait son redac chef, Zed se leva en le saluant d'un hochement de tête et se dirigea vers la sortie. Dans son dos, Rodney lança d'un ton amical :
— Si tu te décides à y aller, je te conseille de laisser tomber le couvre-chef.
Zed eut un instant d'hésitation, et Rodney s'empressa d'ajouter :
— C'est pas une affaire de religion, coco. J'en ai rien à foutre de ces trucs-là, tout le monde fait comme il veut. Ecoute un bon conseil d'un mec qui était déjà dans le métier quand toi, tu faisais encore dans tes couches. Que tu y ailles ou pas, c'est ton choix, mais ce dont je suis sûr, c'est qu'il vaut mieux pas déconcentrer les populations. Il faut qu'ils te prennent pour rien d'autre que leur confesseur, leur meilleur ami, l'épaule sur laquelle ils peuvent pleurer, leur psy-machin-truc-chose... Alors, tu vois, si quoi que ce soit détourne leur attention de l'histoire qu'ils ont envie de te raconter... ou, mieux encore, qu'ils auraient préféré ne pas nous raconter... t'as un problème. Et ça vaut pas seulement pour ta kippa, mais aussi pour les turbans, les chapelets autour du cou, les barbes teintes au henné, les poignards à la ceinture... Tu me suis ? En principe un journaliste d'investigation se fond dans son environnement, et avec ce couvre-chef... Bon, je sais, d'abord ta taille, ensuite tes cheveux, t'y peux rien, à moins de te faire une couleur... Et c'est pas ça que je te demande... La kippa, vois-tu, c'est vraiment le pompon.
Machinalement, Zed toucha la calotte.
— Je la porte parce que...
— Je me contrefous du pourquoi. Tu peux la porter si tu veux. Ce que je te donne, c'est un conseil de vieux singe. Après, c'est à toi de voir.
Bien entendu, les dernières paroles du rédacteur en chef étaient dictées par la prudence, au cas où Zed irait saisir les prud'hommes. D'ailleurs, tout son petit speech sur sa kippa n'avait eu d'autre but que de dégager sa responsabilité. The Source n'avait rien d'un bastion du « politiquement correct », certes, mais Rodney Aronson savait de quel côté sa tartine était beurrée.
— Prends-en bonne note, lui lança Rodney alors que la porte de son bureau s'ouvrait pour laisser le passage à sa secrétaire qui lui apportait une barre chocolatée géante.
— J'ai compris, affirma Zed. Pas de souci.

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trad. Isabelle Chapman
04/10/2012 658 pages 23,00 €
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