#Roman étranger

La famille Fang

Kevin Wilson

Entraînés malgré eux dans les performances et autres happenings de Caleb et Camille Fang, leurs parents, dont l'ambition est de faire de leur propre vie une oeuvre d'art, Annie - surnommée "Enfant A" - et Buster - "Enfant B" - n'ont jamais connu les joies de la normalité. Arrivés à l'âge adulte, ils comprennent que le chaos dans lequel ils ont grandi les a rendus pour le moins inadaptés à la société et au monde réel. Tandis qu'ils essaient tant bien que mal de réaliser leurs projets personnels et de trouver une forme d'équilibre, ils sont, une fois de plus, happés par la folie créatrice des deux artistes, qui, pour couronner leur carrière, ont imaginé une mise en scène dépassant de loin toutes les précédentes. Dans cette comédie tour à tour grinçante et émouvante, Kevin Wilson brosse un tableau au vitriol du milieu de l'art, doublé d'une réflexion amère sur les effets qu'ont les ambitions démesurées des parents sur leurs enfants.

Par Kevin Wilson
Chez Presses de la Cité

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Genre

Littérature étrangère

Prologue

 

 

 

Crime et châtiment (1985)

Artistes : Caleb et Camille Fang

 

 

M. et Mme Fang appelaient ça de l’art. Leurs enfants, eux, appelaient ça des bêtises.

— Vous fichez le bazar et vous repartez comme si de rien n’était, lança Annie, leur fille.

— C’est beaucoup plus compliqué que ça, ma chérie, répondit Mme Fang tout en distribuant l’emploi du temps détaillé de l’événement à chaque membre de la famille.

— Mais ce que nous faisons comporte également une part de simplicité, ajouta M. Fang.

— Oui, il y a de ça, aussi, approuva sa femme.

Annie et Buster, son petit frère, ne répondirent rien. La voiture se dirigeait vers Huntsville, à deux heures de route de chez eux, car ils ne voulaient pas qu’on les reconnaisse. L’anonymat s’imposait comme un élément-clé de leurs numéros, il permettait de préparer la scène sans être interrompu par quiconque les reconnaîtrait et saurait flairer le grabuge.

Tout en fonçant sur l’autoroute, M. Fang, avide de faciès à observer, fixait son fils de six ans dans le rétroviseur.

— Fiston, tu veux bien passer en revue tes tâches pour aujourd’hui ? Qu’on s’assure de n’avoir rien oublié.

Buster posa les yeux sur les notes griffonnées au crayon par sa mère.

— Je vais manger de grosses poignées de Dragibus et rigoler vachement fort.

M. Fang hocha la tête avec un sourire satisfait.

— C’est ça.

Mme Fang suggéra alors que Buster jette quelques bonbons en l’air ; tout le monde dans la camionnette s’accorda à dire que c’était une bonne idée.

— Et toi, Annie, poursuivit M. Fang, tu fais quoi ?

Annie comptait par la fenêtre le nombre d’animaux morts qu’ils avaient dépassés : déjà cinq.

— Moi, je fais la taupe. Je vends la mèche à l’employé.

M. Fang sourit à nouveau.

— Mais encore ? Annie bâilla.

— Après, j’m’arrache.

Une fois parvenus à destination, ils étaient fin prêts pour la suite du programme : faire naître un instant d’une profonde étrangeté, si court que les badauds se demanderaient s’ils n’avaient pas tout bonnement rêvé.

Les Fang entrèrent dans le centre commercial noir de monde et se dispersèrent, chacun agissant comme si les trois autres n’existaient pas. M. Fang s’assit à une table du côté des restaurants et testa la mise au point de sa minuscule caméra cachée dans son énorme paire de lunettes, qui lui provoquait une éruption cutanée autour des yeux chaque fois qu’il la portait. Mme Fang parcourut les allées d’un pas résolu, agitant les bras de manière brusque et exagérée afin de donner l’impression qu’elle avait un léger grain. Buster repêcha des pièces dans les fontaines, ses poches humides et débordantes de monnaie. Annie, quant à elle, acheta un tatouage éphémère dans un kiosque vendant tout un tas de babioles absurdes et se rendit aux toilettes pour se l’appliquer sur le biceps – une tête de mort avec une rose entre les dents. Elle déroula la manche de son tee-shirt sur son bras pour cacher le tatouage, puis s’assit dans une cabine libre jusqu’à ce que retentisse l’alarme de sa montre. C’était l’heure, aussi toute la famille mit-elle le cap à pas lents vers le magasin de bonbons afin d’accomplir ce qui ne pourrait avoir lieu que si chacun remplissait scrupuleusement son rôle.

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trad. Jean-Baptiste Flamin
14/02/2013 392 pages 21,50 €
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