#Polar

Les lumineuses

Lauren Beukes

1931, Chicago. Traqué par la police, Harper Curtis, un marginal violent, se réfugie dans une maison abandonnée. A l'intérieur, il a une vision. Des visages de femmes, auréolés de lumière, lui apparaissent. Il comprend qu'il doit les trouver… et les tuer. Dans sa transe, Harper découvre que grâce à cette demeure, il peut voyager dans le temps. Débute alors sa croisade meurtrière à travers le XXe siècle : années 1950, 1970, 1990… D'une décennie à l'autre, il sème la mort sur son passage, laissant en guise de signature des indices anachroniques sur le corps de ses victimes. Mais l'une d'elles survit aux terribles blessures qu'il lui a infligées. Et va tout faire pour le retrouver.

Par Lauren Beukes
Chez Presses de la Cité

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Genre

Policiers

Harper

 

17juillet 1974

 

 

 

 

Il serre le poney en plastique orange dans sa main moite, au  fond de la poche de sa veste sport. Celle-ci est trop chaude pour la saison – c’est l’été ici. Mais avec le jean, elle fait partie de l’uniforme réservé à cet usage précis. Il marche à   grands   pas malgré son pied amoché, de l’allure d’un homme qui sait où il va. Harper Curtis n’est pas du genre à lambiner, et le temps n’attend pas. Enfin, le plus souvent. Les genoux de la gamine ressemblent à des crânes d’oiseaux, blancs et anguleux sous les taches d’herbe. Assise en tailleur par terre, elle relève la tête en entendant le gravier et les éclats de verre crisser sous les semelles de Harper, lui laissant entrevoir deux yeux marron sous un fouillis de boucles graisseuses. Elle se désintéresse aussitôt de lui et retourne à ses occupations.

Harper éprouve une pointe de déception. Il avait imaginé des iris d’un bleu aussi intense que celui du  lac à l’endroit où la rive s’estompe dans le lointain, vous donnant l’impression de nager en plein océan. Le marron lui évoque des souvenirs de pêche à la crevette, la vase remuée, l’eau si trouble qu’une truie n’y retrouverait pas ses porcelets.

— Tu fais quoi ? demande-t-il d’un ton faussement enjoué, s’accroupissant près d’elle.

Il n’a jamais vu une gosse avec une tignasse pareille. On dirait qu’elle a été enlevée par une tornade et recrachée sur l’herbe jaunie au  milieu d’une collection de cochonneries : des boîtes en fer-blanc rouillées, une roue de bicyclette aux rayons brisés… L’objet de son attention est une tasse à thé retournée, dont le bord ébréché et peint de fleurs argentées s’enfonce dans l’herbe. Deux chicots émoussés indiquent l’emplacement de l’anse cassée.

— Tu joues à la dînette ? insiste-t-il.

— Naan, marmonne-t-elle dans le col Claudine de son chemisier à petits carreaux.

Une gamine avec autant de taches de rousseur ne devrait pas avoir l’air aussi sérieuse. Ça ne lui va pas du tout.

— Pas grave. J’ai pas faim. Mais je boirais bien un café, madame. Sans lait, avec trois sucres, s’il vous plaît.

Avec un couinement aigu, la gosse lui file une claque sur la main alors qu’il s’apprêtait à soulever la tasse. Un vrombissement furieux s’en échappe.

— Bon Dieu, y a quoi, là-dessous ?

— Je joue pas à la dînette ! C’est un cirque !

— Ah ouais ?

Il plaque un sourire sur son visage, celui qui signifie : « Fais pas cette tête, quoi. On peut rigoler, non ? » Mais il ressent encore le coup sur le dos de sa main.

La gamine reste sur la réserve. Non qu’elle se méfie de lui, ou qu’elle craigne qu’il ne lui fasse du mal : simplement, l’incompréhension de l’inconnu l’agace. Il redouble d’attention et finit par distinguer une minable imitation de cirque : un trait dans la poussière délimite la piste, une paille en plastique tendue entre deux canettes de soda figure une corde de funambule, et la roue de vélo appuyée contre un buisson, une grande roue. Des personnages découpés dans des magazines sont coincés entre les rayons.

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trad. Nathalie Duport-Serval
07/05/2013 379 pages 22,00 €
Scannez le code barre 9782258101258
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