#Roman francophone

L'armoire allemande [EDITION EN GROS CARACTERES

Jean-Paul Malaval

Que contient l'armoire allemande qui trône en bonne place au coeur de la demeure corrézienne des Delalande ?
C'est la question qui hante Alexandrine depuis son enfance.
Jusqu'à ce jour de l'été 1979 où elle hérite de la fameuse armoire et surtout des secrets qu'elle recèle.
Les carnets d'Hélène, sa mère, projettent Alexandrine aux heures fiévreuses de la Libération, après que cette femme singulière, volage et insouciante, s'est trouvée emportée par une passion scandaleuse.
La découverte de cette part d'ombre, soudain révélée, va à jamais bouleverser son existence.
Récit émouvant sur la quête de l'identité, bâti comme un puzzle, L'Armoire allemande confirme, s'il en était encore besoin, le grand talent de Jean-Paul Malaval.

Par Jean-Paul Malaval
Chez VDB

0 Réactions |

Editeur

VDB

Genre

Littérature française

1

D’un coup de griffes de chatte, Alexandrine rabattit le portrait de sa mère. Cette présence, en face d’elle, lui était devenue insupportable. D’où lui venait-elle, cette agressivité si prompte à se déclencher ? Le plus souvent pour des futilités. Tobias en savait quelque chose, lui qui faisait le dos rond sous les éclats de voix. Ce serait exagéré tout de même de dire qu’elle avait choisi son compagnon pour cette qualité... Un homme docile est confortable à vivre, dès lors que l’on veut ignorer ses capacités de ressentiment. Après tout, n’avait-elle pas fait de même avec sa mère ? Depuis l’enfance. Une petite reine, Alexandrine, choyée, pourrie, et enfin gâtée par la vie. À croire que dans le domaine des destins personnels on ne prête qu’aux riches.

Soudain prise de remords, elle redressa le portrait. Son regard sec s’attarda sur lui, longuement. Elle se voulut le plus objective possible. Elle comprit qu’à ce jeu, elle finirait par s’ériger en juge. Etait-ce le moment, alors qu’on venait juste de la porter en terre ? Dans le milieu judéo- chrétien, où elle avait baigné et dont elle s’était affranchie à la longue, l’usage ne veut-il pas qu’on prononce plutôt prières et suppliques, afin de soutenir les âmes devant le juge suprême ? Alexandrine n’appartenait pas à cette espèce d’avocate. Sa fonction se bornait aux divorceset aux conflits de familles, affaires bien terrestres, où rédemption et salut des âmes n’avaient pas droit de cité.

Figé à jamais par le studio Blanchard, année 1967, le portrait de la mère laissait sourdre une ironie aigre-douce. Ainsi avait-elle cultivé sa vie durant un pessimisme maladif, transmis à sa progéniture par mimétisme, sachant que les enfants reproduisent le comportement des parents. Nous avons été, mon frère et moi, pensa-t-elle, des buvards où toute la psychologie teintée de mélancolie et de catastrophisme de notre mère s’est ancrée au plus profond.

Du bout des doigts, Alexandrine caressa le portrait. Jusqu’à sa mort, ma chère maman aura conservé une beauté compliquée, pensa-t-elle, visage lisse, lèvres minces, chevelure opulente. La maladie le remodela à peine, ici et là quelques flétrissures. Que cachaient ses profondeurs insondables, tant la mère fut secrète jusqu’à la dernière seconde, ne révélant jamais rien d’elle-même, ni ses émotions ni ses désarrois ? À moins qu’elle se crût au-dessus de toutes contingences, qu’elle ne jugeât personne digne de l’entendre, ou qu’elle s’estimât pour si peu dans l’ordre du monde, tant d’hypothèses dénotant plus d’intelligence que de crasse bêtise.

Pourtant, ce n’était point faute d’interrogations formulées par lettres adressées de Bordeaux où on l’avait mise en pension, avec cette phrase lancinante : « Ma petite maman, m’aimes-tu ? » La réponse se faisait ainsi, bien tardivement, presque sidérée, comme si elle coulait de source : « Bien sûr que nous t’aimons, ton père et moi... »

Commenter ce livre

 

01/09/2013 21,00 €
Scannez le code barre 9782366371314
9782366371314
© Notice établie par ORB
plus d'informations