#Polar

Une vérité si délicate [EDITION EN GROS CARACTERES

John Le Carré

2008. Le rocher de Gibraltar, joyau des colonies britanniques, est le théatre d'une opération de contre-terrorisme menée par un commando anglais et des mercenaires américains. Nom de code : Wildlife. Objectif : enlever un acheteur d'armes djihadiiste. Commanditaires : un ambitieux ministre des Affaires étrangères et son ami personnel, patron d'une société militaire privée. Trois ans plus tard, Toby Bell, secrétaire particulier du ministre en question, doit choisir entre sa conscience et sa loyauté de serviteur de l'Etat. Or si la passivité des hommes honnêtes suffit à faire triompher le mal, comment pourra-t-t il garder le silence ?

Par John Le Carré
Chez Les Editions Retrouvées

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Genre

Romans policiers

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Au deuxième étage d'un hôtel sans caractère de cette colonie de la Couronne britannique qu'est Gibraltar, un quinquagénaire au corps délié faisait les cent pas dans sa chambre. Ses traits typiquement anglais, harmonieux et respirant l'honorabilité, lais­saient néanmoins deviner un tempérament coléreux poussé à la limite de son endurance. Quelque universitaire angoissé, aurait-on pu penser en observant la voussure et le pas élastique du lettré, ainsi que la mèche vagabonde poivre et sel qu'il devait sans cesse discipliner d'un petit revers de son poignet anguleux. Rares sont ceux qui auraient pu soupçonner, si débordante que soit leur ima­gination, qu'il s'agissait d'un cadre moyen de la fonction publique britannique arraché à son poste dans l'un des services les plus prosaïques du Foreign Office, ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth de Sa Majesté, pour aller accomplir une mission top secret et hautement sensible.
Son prénom d'emprunt, comme il s'obligeait à se le répéter, parfois même à voix haute, était Paul, et son nom de famille, pourtant facile à retenir, Anderson. Quand il allumait la télé­vision, l'écran affichait Bienvenue, Monsieur Paul Anderson. Quel meilleur prélude à votre repas qu 'un apéritif offert par la maison à la Cambuse de lord Nelson ! Le point d'exclamation en lieu et place du point d'interrogation requis horripilait le puriste en lui. Il n'avait pas quitté le peignoir en éponge blanc de l'hôtel depuis le début de son incarcération, sauf lorsqu'il avait en vain essayé de dormir et l'unique fois où il était monté en douce à une heure peu catholique pour manger seul dans la brasserie sur le toit-terrasse que balayaient les effluves de chlore venus de la piscine sise au troisième étage de l'immeuble d'en face. Comme beaucoup d'autres choses dans cette chambre, le peignoir, trop court pour ses longues jambes, empestait le tabac froid et le parfum d'ambiance à la lavande.
Tout en arpentant la pièce, il s'entêtait à extérioriser ses sen­timents sans la retenue de rigueur dans sa vie professionnelle, ses traits crispés exprimant une perplexité sincère, puis, l'instant d'après, dans le miroir en pied vissé sur le papier peint écossais, un air furibond. De temps en temps, il se parlait tout seul pour se défouler ou s'encourager. À voix haute, là encore ? Quelle différence, quand on était bouclé dans une chambre vide sans personne pour vous écouter hormis une photo colonisée de notre chère jeune souveraine chevauchant un alezan ?
Sur une table en formica gisaient les restes d'un club-sandwich qui avait chèrement vendu sa peau et une bouteille entamée de Coca-Cola tiède. Bien qu'il lui en coûtât, il ne s'était pas auto­risé une goutte d'alcool depuis qu'il avait pris possession de la chambre. Le lit assez grand pour six, qu'il avait appris à abhorrer plus qu'aucun autre auparavant tant son dos le faisait souffrir dès qu'il s'étendait dessus, s'ornait d'une courtepointe imitation soie d'un cramoisi éclatant, sur laquelle reposait un téléphone portable d'apparence anodine dont on lui avait garanti qu'il répondait aux normes de cryptage les plus strictes, ce qu'il ne pouvait guère mettre en doute malgré sa confiance limitée en ces choses-là. Chaque fois qu'il passait devant, il lui adressait un regard lourd de reproche, d'impatience et d'agacement.
Paul, j'ai le regret de vous informer que vous serez tenu au secret durant toute la mission, en dehors des communications d'ordre opérationnel, le prévient laborieusement la voix sud-africaine d'Elliot, son commandant en chef autoproclamé. Si votre charmante famille devait affronter en votre absence quelque crise malheureuse, qu 'elle fasse part de ses ennuis à l'assistante sociale de votre service, qui transmettra. Me suis-je bien fait comprendre, Paul ?

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17/03/2022 442 pages 14,50 €
Scannez le code barre 9782365592802
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