Préface
par Jean-Paul Malaval
Nul personnage de roman n’est mieux à son aise que dans le creuset familial. C’est de là qu’il tire sa substance, dans le fourmillement d’une genèse intime qu’il portera longtemps au fil des pages. L’auteur de ses jours, celui que l’on appelle accessoirement le romancier, va s’en donner à cœur joie pour préparer ses héros à affronter toutes les difficultés imaginables, chausse-trapes, retournements de situation, imbroglios, embrouillaminis, mais aussi félicités, extases, enchantements, et que sais-je encore. Voici pourquoi, depuis que j’écris, j’ai voué l’existence de mes personnages à l’odyssée familiale. Le cadre où se joue la narration, évidemment, est le socle fondateur du récit. Qu’il s’agisse d’un domaine au nom évocateur, d’une bastide orgueilleuse, d’une ferme ancrée dans la terre lourde des ancêtres, le lieu devient toujours une cause à défendre, souverain, périlleux, porteur de paradoxes et se jouant parfois du progrès, mais il n’est finalement que la passion qui triomphe parmi les ruines, les démembrements, les dislocations… Les doigts agiles du temps pétrissent et repétrissent indéfiniment cette glaise. Ainsi l’écriture tire-t-elle de ce modelage inexorable sa force évocatrice. Il n’est que le lecteur, en vérité, pour savoir si les personnages d’un romancier sont fréquentables après quatre ou cinq cents pages, et aucune histoire de famille ne se satisferait d’un souffle court, car elle réclame du champ, du large.
Avec Les Vignerons de Chantegrêle, tout commence sous le Second Empire avec l’irruption de la maladie. En un rien de temps, les vignobles corréziens de la fin du XIXe siècle passent à la trappe. Pourtant c’était une région de vin avant le phylloxera, mais on ne savait pas le traiter, on ne connaissait pas les plants américains greffés.
Dans Quai des Chartrons, les Madelbos et les Pierrebrune s’en vont tenter leur chance ailleurs. Comme il s’agit d’une dynastie de vignerons, on choisit le Médoc pour y acquérir une bonne terre à vigne. L’exode bordelais va combler les rêves des nouveaux pionniers. C’est le temps où tout leur réussit, à croire que les dieux sont de la partie.
Tant d’insouciance ne rassure que les naïfs. Avec le nouveau siècle, le vingtième, une autre sorte de maladie s’annonce, tout aussi dévastatrice : l’argent, le pouvoir, la jalousie et mille autres petits riens qui, ajoutés les uns aux autres, finissent par faire un torrent au flux inexorable.
Dans la seconde histoire, Une famille française et Le Crépuscule des patriarches, le temps est au beau fixe, le domaine de La Renaudière florissant. Il n’est plus qu’à se laisser vivre sous le regard du maître des lieux, un patriarche autoritaire, Angel Monestier. Les fils sont à la tâche. On a décidé de leur avenir. N’est-ce pas une ambition trop simple ? Le soir du mariage, un des enfants disparaît sans laisser derrière lui la moindre trace. Sur cet effacement, le maître impose le silence. Et c’est précisément ce mutisme qui finira, peu à peu, par empoisonner le monde si bien réglé des Monestier.
Extraits
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