#Roman étranger

Les délices de Turquie

Jan Wolkers

Original, cru, provocateur, tendre, un roman à l'énergie contagieuse, à la liberté de ton étonnante, porté par une écriture fougueuse et sensuelle. Quelque part entre Les Valseuses et Le dernier Tango à Paris, l'histoire d'une passion folle dans l'Amsterdam des années 1960. La redécouverte d'un roman culte et de son auteur, artiste total à la réputation scandaleuse, en révolte perpétuelle contre l'hypocrisie d'une société engoncée dans un protestantisme pudibond. Jan Wolkers est aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands écrivains néerlandais d'après-guerre, aux côtés d'Harry Mulisch, Gerard Reve et Willem Frederik Hermans. Les Délices de Turquie ont été adaptés au cinéma en 1973 par Paul Verhoeven, avec Rutger Hauer et Monique Van de Ven dans les rôles principaux, et ont été désignés comme le meilleur film néerlandais du XXe siècle.

Par Jan Wolkers
Chez Belfond

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Editeur

Belfond

Genre

Littérature étrangère

 

Un plat à barbe plein d’endives

 

 

 

J’étais vraiment dans la merde depuis qu’elle m’avait plaqué. Je ne travaillais plus, je ne mangeais plus. Toute la journée, je restais allongé entre mes draps sales et je collais le nez sur des photos d’elle à poil, si bien que je pouvais m’imaginer voir frémir ses longs cils surchargés de rimmel lorsque je me branlais. Regarder ses lèvres humides se gonfler et se retrousser et entendre, au moment de jouir, ses cris aussi ardents qu’à nos débuts, quand elle n’avait pas encore appris à garder le plaisir pour elle et pour moi, et qu’elle le hurlait sur les toits, au point qu’une voisine lui avait demandé un jour : « Voyons, qu’est-ce qu’il te fait ? » Et qu’un voisin m’avait dit : « On croirait qu’il y a une nichée de chiots chez vous autres. » Je relisais ses lettres et en recopiais des phrases sur le mur : « Après t’avoir quitté, j’ai dû courir chez le pharmacien acheter du coton pour étancher les saignements de mon cœur. » Et : « Hiersoir, la ville sentait le foin. J’ai envie de toi. Pendant que je t’écris, mon con tète comme un bébé. » Je torturais mon cerveau à chercher ce qui avait pu clocher et pourquoi elle m’avait quitté pour ce couillon, ce commis voyageur, cette vieille pine aux épaules tombantes. J’avais mal au crâne à force de me creuser la cervelle. Je n’en sortais pas, je ne comprenais pas. Comment avait-elle pu se laisser embobiner à ce point par sa sale garce de mère ? Et je me branlais de nouveau en fixant cette photo d’elle, à poil, assise le dos tourné, qui montre ses superbes fesses. Et je criais : « Chie donc, nom de Dieu, chie pour moi, je lécherai la merde dans ton cul. » Pourtant, au bout de deux semaines, je sortis de mon lit. Amaigri et crasseux. Dans la cuisine, je trouvai sur le gaz une poêle contenant ce qu’elle avait préparé avant de partir. Deux boulettes de viande. Celles-ci reposaient dans un lit duveteux de moisissure, et j’aurais pu rire et pleurer à la fois lorsque je les jetai dans les toilettes car elles me rappelaient qu’elle avait envoyé une boulette de viande à analyser aux services de santé du Ministère au temps où, jeune fille, elle était pensionnaire. Je pris une douche et m’écorchai avec le squelette d’une holothurie autour duquel s’enroulaient ses cheveux roux comme des fils de nylon. Je me mis sur mon trente et un et me regardai attentivement dans le miroir. Je me trouvais d’une beauté fatale avec mon visage émacié, mes boucles rebelles, mon blue-jean et ma veste de cuir noir. Et je me dis à voix basse avec un grand sérieux, car j’étais incapable d’en rire : « Tu as encore une certaine chance. » Je réagissais exactement comme le juif de l’histoire qu’un ami voit sortir d’un bordel le jour de l’enterrement de sa femme, et qui dit pour s’excuser : « Est-ce que je sais ce que je fais dans mon chagrin ? » Moi, je sautais une nana après l’autre. Je les traînais dans mon antre, j’arrachais leurs vêtements et leur rentrais dedans comme un forcené. Puis je m’en débarrassais après leur avoir offert un verre. Parfois trois le même jour. D’énormes nichons pendant comme des outres remplies de bouillie et pourvues de pis à sucer. Des petits tétons ratatinés, trop pitoyables pour être caressés. Il valait mieux que celles-là gardent leur soutien-gorge. Des toisons rêches comme du crin ou douces comme de la fourrure. Des cons secs, hérissés de verrues à l’intérieur. Désagréables pour les doigts mais délicieux pour la queue. Des cons que je ne voyais pas parce qu’une petite main les dissimulait. Des cons doux et humides comme des tartelettes à la crème. Des femelles robustes aux hanches pareilles à de gigantesques fromages, parlant avec l’accent de Rotterdam et très agressives, qui empoignaient ma bitte comme la poignée d’un vilebrequin. Qui, aussitôt après l’enfilade, voulaient laver la vaisselle, frotter le plancher et récurer les chiottes. Des jeunes filles qui, enfouissant leur nez mouillé contre ma poitrine velue, pleurnichaient parce que leur père les avait violées à l’âge de quinze ans. L’Indonésienne qui jouait les vierges et criait, à moitié pâmée, d’une voix affectée et la bouche en cul-de-poule : « Qu’est-ce que tu me fais ? – J’écarte tes cuisses, je te fourre ma bitte quelque part et je vais te tringler jusqu’à ce que je ne sente plus ton haleine. Donne tes lèvres poisseuses. Tire ta langue que je la bouffe. » Cette damnée migraine à mon réveil lorsqu’on avait encore glissé une serviette hygiénique sous mon matelas, à hauteur de ma tête. Du sang brun noirâtre comme du sirop de pomme. Les morpions, semblables à des pellicules grises, qu’elles m’apportaient avec les compliments de leurs nombreux amis des pays lointains. Je tenais un journal de ces passades. Souvent, j’y collais une mèche de cheveux, parfois des poils pubiens si j’avais réussi à leur faire perdre la boussole à ce point. Comment je les avais séduites et comment elles m’avaient parfois séduit. Ce qu’elles avaient dit et ce que j’avais dit. Car les femmes raffolent d’un homme qui souffre d’un amour malheureux. Cependant, ce jeu m’écœura au bout de quelques mois. Je me ressaisis un peu et louai la chambre donnant sur la rue à deux étudiantes américaines que je ne touchai pas. Elles étudiaient l’histoire de l’art, et elles avaient fixé des maximes au mur, entre une reproduction de L’Agneau mystiquede Memling et l’inévitable autoportrait du  fou d’Arles à la tête pansée. THERENOTHING SADDETHAN  ASSOCIATIONS  HELD  TOGETHER  BY  NOTHING  BUT

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trad. Lode Roelandt
10/01/2013 245 pages 17,00 €
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