#Imaginaire

La griffe et le sang

François Larzem

Mina, jeune Tzigane au caractère trempé, trouve refuge avec sa mère dans une vallée des Carpates. Très vite, elles sont en proie aux tourments des villageois. Ils les obligent à porter un manteau à capuchon rouge, la marque d'infamie. Mais arrive un mercenaire vêtu de noir, à la beauté du loup qui décide de les protéger. Mina pense avoir trouvé la paix quand ses cauchemars commencent. Un chevalier à l'armure écarlate vient la visiter en songe : Vlad, jadis seigneur du pays, dont la réputation de cruauté le désignait comme Dracul, le fils du démon. Quel est donc ce lien qui les unit ?

Par François Larzem
Chez Le Pré aux Clercs

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Genre

12 ans et +

1.

 

 

Il pleuvait depuis l’aube. Une pluie drue qui semblait ne jamais vouloir s’arrêter. Le ciel couleur de cendre nous avait accompagnées tout au long du jour, comme dans un interminable crépuscule. Assise à côté de ma mère, sur le coffre de bois qui bordait la plateforme à l’avant de notre roulotte, je regardais défiler lentement le paysage vallonné que nous traversions. Prairies et forêts s’y succédaient sans fin jusqu’à se perdre dans le gris de l’horizon. L’eau ruisselait sur mes cheveux. Je les frottai vigoureusement pour les sécher. L’humidité les faisait boucler encore plus qu’à l’habitude. Malgré la bâche qui prolongeait le toit au-dessus de nos têtes, la pluie réussissait à passer. Dans la toile imbibée, elle avait dessiné des gouttières ventrues qui s’écoulaient par saccades au gré des secousses de l’attelage.

Nous n’avions quitté Craiova que depuis trois jours. Je savais que notre voyage serait long, et pourtant, j’aurais bien aimé qu’il soit déjà fini.

— Ce sont les montagnes de Transylvanie qui se dressent là-bas ?

— Non, répondit ma mère, les Carpates sont bien plus hautes.

— Tu les as déjà vues ?

— Jamais.

— Alors comment le sais-tu ?

— Sois patiente, Mina, soupira-t-elle, on les apercevra bientôt.

— Et papa, il y était déjà allé ?

— Non, Dvorek ne connaissait pas la Transylvanie…

Ma mère n’avait plus envie de poursuivre la conversation. Comme chaque fois que j’évoquais mon père, ses yeux se perdaient dans le vague. Elle porta sa pipe à ses lèvres et aspira une longue bouffée. Le tabac grésilla, allumant une lueur orangée sur son visage. Puis elle attendit quelques instants, avant de recracher un épais nuage de fumée blanche. Comme tous les Tsiganes, ma mère fumait « pour oublier la faim », disait-elle. Moi, je savais qu’elle cherchait à en oublier bien plus. Ce n’était pas la fumée qui faisait parfois naître des larmes au coin de ses yeux. Je n’insistai pas.

Notre vieille jument avançait tant bien que mal dans la boue du chemin. La terre molle qui engluait ses sabots la faisait souvent trébucher, entraînant la roulotte dans de brusques embardées. Nous rebondissions alors sur notre siège et les mimes des théâtres de rue de Craiova auraient sûrement envié nos extravagantes gesticulations. Parfois nos roues de bois s’embourbaient dans les sillons creusés par quelques charrettes sans doute lourdement chargées d’herbe fraîche. Les rênes à la main, ma mère s’échinait à guider Kuska. Ce n’était pas ce qu’elle faisait de mieux. D’habitude, c’était toujours mon père qui conduisait notre jument.

Un nouveau ruissellement trempa mes cheveux et coula dans mon dos. Je frissonnai. Non qu’il fasse froid, mais toute cette pluie finissait par m’agacer. Je dénouai nerveusement le foulard qui ceignait ma taille, et rassemblai mes boucles brunes sous le tissu dont je couvris ma tête jusqu’au front. Remontant l’écharpe enroulée autour de mon cou, j’eus soudain l’impression de ressembler à l’une de ces momies égyptiennes, dont mon père m’avait un soir conté le débarquement dans le port de Constanta lorsque je n’étais qu’une petite fille. Il savait si bien raconter ses aventures que, souvent, je croyais les avoir vécues moi-même. Je revoyais la mer, le navire, les marins, la caisse qui s’éventra pendant le débarquement lorsqu’une corde se rompit, révélant au clair de lune ce corps couvert de bandelettes qui avait traversé les siècles. Parfois ces souvenirs étaient si présents, si troublants, qu’au grand désespoir de ma mère je n’en dormais pas de la nuit. Elle interdisait alors les histoires du soir. Et quelques jours après je roulais de grands yeux dans mon lit en écoutant un nouveau récit.

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14/03/2013 307 pages 16,00 €
Scannez le code barre 9782842285081
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