#Roman étranger

Quelque chose est là-dehors. Et autres nouvelles

Richard Bausch

Richard Bausch ne s'intéresse qu'aux moments déterminants de l'existence : une trahison, la mort d'un proche, la fin de l'amour. Avec assurance et subtilité, il décrit les tourments d'individus qui tentent pourtant d'échapper à leur destin, et les quitte souvent à l'orée d'une nouvelle étape. Qu'il fasse irruption dans l'univers d'un couple de musiciens ou d'une famille de Virginie faisant les frais des combines d'un père en pleine banqueroute, Bausch démontre une puissance d'évocation irrésistible et une perception des relations humaines d'une acuité peu commune. Son oeuvre, plusieurs fois distinguée, s'inscrit dans la tradition des grands nouvellistes nord américains tels que Raymond Carver ou Alice Munro.

Par Richard Bausch
Chez Editions Gallimard

0 Réactions |

Genre

Littérature étrangère

LA FACULTÉ DE HARPE EST AMOUREUSE

 

 

 

Ce matin-là, Josephine Stanislowski est en train de ranger en pleurant les vêtements d’hiver dans un grand carton destiné au grenier quand son amie et voisine Ruthie lui téléphone à propos de la soirée surprise qu’elle donne en l’honneur de son mari Andrew, nouvellement diplômé de l’université. Cette fête, Josephine a plusieurs semaines plus tôt aidé à la préparer avec enthousiasme. « Ah, oui, mince, on est vendredi aujourd’hui, laisse-t-elle échapper avant d’avoir pu s’en empêcher. C’est vrai.

— Tu n’avais pas oublié.

— J’ai perdu le fil des jours, Ruthie. Désolée.

— Est-ce que ça va ? On dirait que tu viens de pleurer.

— J’ai mangé un sandwich à l’œuf et au poivre, répond Josephine, aussitôt dégoûtée par son mensonge. C’est pour ça que j’ai le nez qui coule.

— T’as une voix atroce. »

Ruthie l’émotive, la volubile, ne connaît de la situation de Josephine que les grandes lignes — lundi, après une scène terrible, John Stanislowski est parti s’installer dans son petit studio en ville, l’appartement donnant sur le fleuve où avant il vivait et travaillait ; il dit que c’est fini entre eux. À Ruthie, Josephine a expliqué qu’il s’agissait d’un changement provisoire, pour qu’il puisse se consacrer à sa nouvelle composition.

« Le gâteau n’est pas prêt, continue Ruthie. Et cet idiot, il vient de m’appeler pour m’annoncer qu’il finit une heure plus tôt.

— Aïe, parvient à répondre Josephine de façon automatique.

— J’aurai jamais tout installé à temps, ça chamboule tout et c’est impossible de prévenir tout le monde, continue Ruthie. Mais il va passer devant chez toi. Tu crois que tu pourrais le retenir un moment pour moi ? » Depuis l’université, il faut un quart d’heure de marche.

Elles savent toutes les deux qu’il s’arrêtera en chemin pour acheter un litre de bière à la petite épicerie coréenne, comme il le fait tous les jours. Donc : vingt minutes.

« Je... Je ferai semblant d’avoir besoin d’aide, lâche finalement Josephine. Est-ce qu’on se donne un signal pour quand tu seras prête ?

— On n’a qu’à dire que je t’appellerai. Et débrouille-toi pour qu’il se doute de rien. Trouve une bonne idée.

— C’est tout trouvé. J’ai un gros carton de vêtements assez lourd à monter au grenier.

— Tu ranges ses vêtements ?

— Les vêtements d’hiver. Je fais ça tous les ans.

— Il ne viendra probablement pas à la fête.

— Si, il a dit qu’il viendrait peut-être.

— Ça compterait beaucoup pour moi. »

Josephine marque un temps avant de dire : « Appelle-moi quand tu seras prête. »

Elles discutent un petit moment de comment Ruthie aimerait que les choses se passent, et Josephine s’entend réagir comme si elle se sentait encore concernée. Elle réussit à trouver la force d’articuler : « Ça sera parfait, Ruthie.

— Tu me rassures toujours, toi », lui dit Ruthie.

Commenter ce livre

 

trad. Stéphanie Levet
10/10/2013 332 pages 22,90 €
Scannez le code barre 9782070135813
9782070135813
© Notice établie par ORB
plus d'informations