Prologue
Ce livre est sans doute né le 18 février 2010 à Los Angeles.
Ce jour-là, il est 18 h 30 lorsque je me gare dans une petite rue perpendiculaire à La Cienega Boulevard, à deux blocs de Melrose Avenue et une demi-heure de voiture de mon motel, situé en plein cœur de Koreatown. Il fait nuit, les rues de West Hollywood se vident déjà. J’ai rendez-vous avec Michael Cimino chez Ago, restaurant italien plutôt chic où défile l’aristocratie d’Hollywood et de Los Angeles, premier établissement d’une chaîne d’ItalianTrattoria cofondée par Robert De Niro, les frères Scott (Ridley et Tony) et Weinstein en 1998. « Don Michael », comme le surnomme l’un des serveurs qui s’avance vers moi, a réservé une table au fond d’une immense rotonde de style florentin. Quatre mois auparavant, j’ai contacté Joann Carelli, productrice de Voyage au bout de l’enfer et du Sicilien, mais surtout l’indéfectible sentinelle de Cimino, sa protectrice et sa plus fidèle alliée, celle qui fut de tous ses combats, et de ceux qui soudent pour de bon, comme celui de La Porte du paradis en 1980 qu’elle a produit seule, presque envers et contre tout le board de la United Artists, à une époque où les productrices se comptaient sur les doigts d’une demi-main. « Mon arme secrète, c’est Joann Carelli, m’avouera un jour Cimino. Il n’y a personne au monde en qui j’ai plus confiance. Sans elle, aucun de mes films ne se serait fait. » Si je me retrouve ici, c’est donc grâce à celle dont je ne connais alors que la voix et aux heures de conversations téléphoniques passées à lui expliquer mon projet, une sorte de profile à la française que j’envisage d’écrire pour Les Cahiers du Cinéma en référence aux portraits fleuve publiés dans l’institution New Yorker. J’imagine, je sais même, que pour Cimino, profondément échaudé par les médias et peu convaincu par l’état général de la critique de cinéma (américaine surtout), l’idée de passer plusieurs jours en ma compagnie ne va pas de soi. À la fois directe et chaleureuse, précise et bienveillante, Joann Carelli est comme la doublure de Cimino, son alter ego féminin qui devance ses questions et intériorise toutes ses réticences. De fil en aiguille, elle a fini par le convaincre de me rencontrer enfin. Ce soir-là, je sais que tout se décidera très vite, en une poignée de minutes et de silences. Coup pour rien ou coup d’envoi. On en restera là, poliment, ou bien Cimino acceptera de poursuivre l’aventure de la conversation et de regarder longuement dans le rétroviseur d’une carrière hors norme que la pieuvre hollywoodienne, avec ce mélange d’amnésie et de cynisme qui la caractérise si souvent, a mise au point mort depuis presque vingt ans.
En 2010, hormis une ressortie dans les salles française d’une version complète de La Porte du paradis (en 2006), et le segment No Translation Needed qu’il a réalisé pour un film collectif célébrant les soixante ans du Festival de Cannes, Michael Cimino a disparu des radars critiques. À de rares exceptions près, il n’intéresse plus personne, ni les revues, ni les festivals, ni les producteurs, ni les cinémathèques qui, au nom d’un étrange revirement et/ou d’une prise de conscience spectaculaire décideront, en 2012, de son retour en grâce à coup de rétrospectives et de rééditions prestigieuses de ses films aussi bien en salles qu’en DVD.
Extraits
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