Editeur
Genre
Littérature française (poches)
I
Conversation
de lit à lit
Le 28 juin 1642, Tarascon, qui avait déjà vu sainte Marthe affronter la Tarasque, assista à la rencontre d'un saint moins assuré et d'un monstre plus contestable.
En effet, Louis XIII devait essentiellement son surnom de Louis le Juste au fait qu'il était né sous le signe de la Balance, balance qu'il sut toujours garder entre le caprice et la raison, comme entre les femmes et les hommes.
Quant au cardinal de Richelieu, après dix-huit ans de règne, s'il faisait encore figure de tyran, c'était un tyran dont le poids devenait matériellement plus léger chaque jour. Sa tombe s'ouvrait sur son corps même, sous forme d'ulcères.
Cependant, les Tarasconnais et surtout les Tarasconnaises, qui sont dotées de petites langues fort déliées, commentaient la venue du roi, sur les deux promenades qui font l'orgueil de la ville : le cours et la chaussée. Comme toujours à trois heures de l'après-midi, le cours était ensoleillé, la chaussée ombreuse.
En poussant ses pas plus avant, le promeneur pouvait admirer son château qui, bâti en 1291 sur les ruines d'un castrum romain, avait été reconstruit au début du XVIe siècle, tout exprès pour les guerres civiles.
Le château, lui aussi, avait son ombre et sa lumière. Mais l'ombre avait vingt ans et la lumière déclinait. Aux murmures du monarque et de son ministre, dans une des plus belles salles dominant le Rhône, répondaient les gémissements de M. de Chavagnac et de M. de Thou, complices de M. de Cinq-Mars et enchaînés dans les sous-sols de la forteresse, comme il l'était lui-même dans la citadelle de Montpellier.
Disons rapidement comment on en était venu là et pourquoi le favori d'un si grand roi, au terme d'une si belle promenade, faisait partager à ses amis un si piètre régime.
Le 3 février, deux cortèges avaient quitté Fontainebleau. Le roi, suivi du cardinal, partait mettre le siège devant Perpignan. Quatre mois plus tôt, les députés de la Catalogne, insurgée contre Philippe IV, étaient venus demander la protection de la France, ce qui leur avait été accordé à Péronne. Le temps de lever des armées et de se lever soi-même, on s'était ébranlé. Mais le cardinal avait eu quelques jours de plus pour faire sa maigre matinée.
En effet, si Louis XIII mangeait fort peu et Richelieu plus du tout, leur suite avait gros appétit. Il y avait les pages, les gentilshommes, les chevau-légers, les mousquetaires.
Passe encore pour les pages qui se contentaient des vergers et pour les gentilshommes qui grignotaient les miettes des croissants, par courtoisie envers les deux illustres malades. En revanche, les chevau-légers démentaient la réputation appuyée sur leur nom. Quant aux mousquetaires, tous considéraient la ligne brune des Pyrénées comme un signe fatal. Ils dévoraient donc, en prévision d'une campagne où les perdrix se nourriraient de vinaigre par coquetterie de serrer leur taille et où il y aurait choix chiche de cailles.
Extraits
Commenter ce livre