#Roman francophone

Je suis parfois cet homme

Stanislas Rodanski

Repéré par Julien Gracq et André Breton, Stanislas Rodanski (1927-1981) fait partie des marges du surréalisme, de ces figures extrêmes qui en posent naturellement les jalons. Ce recueil est constitué de poèmes écrits entre 1946 et 1952, presque tous inédits, qui offrent la découverte du poète après celle du Rodanski écrivain "surréaliste" . Ici, il arpente en veilleur un territoire froid et nocturne. Dans son paysage intérieur sont dressées des phrases-lanternes auprès desquelles il revient pour relancer son discours et réchauffer sa flamme. Rodanski suit les mots tout en disant "je suis les mots" , utilise les paradoxes et les antithèses pour forcer le langage, pour trouver la voie de l'être et le "cours de la liberté" . Chez lui la folie est devenue une "vertu morale" et Rodanski se réclame du "fanal de Maldoror" tout en marchant dans les pas de Nerval. Son univers poétique s'étend du romantisme allemand de Novalis et de Hölderlin au panthéon surréaliste avec lequel il dialogue (allusions à Breton, Sade, Vaché, Jarry, ou Rimbaud) dans un style unique, cristallin, où pointe un humour noir et désespéré.

Par Stanislas Rodanski
Chez Editions Gallimard

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Genre

Poésie

 

 

 

Cendre de nuit

Neige de vérité

pure comme l’aimant de fer bleu

Onde de l’aurore qui baigne une plage sainte !

Les temps sont venus où le temps s’oublie

 

J’ai vécu de la chair des sourires

J’ai bu la lumière que d’autres adorent

Et le sable de ma vie s’est égoutté des régions profondes

Mais au repli de moi-même

d’un creux vierge et ignoré

Sourd un murmure comme d’un lait premier coulant dans les ténèbres

Un murmure d’au-delà comme la grande mer qui habitait mon être d’avant

les époques

Le flot mélodieux de la mort a ouvert mes yeux d’amour

 

 

 

 

 

 

 

 

La traversée nocturne du héros est une morne croisière

Le navire est parti du port sans retour

Il voguera longtemps sur la mer de ténèbres

Dans les passes interdites des épaves dérivent désespérément

Les naufrageurs allument des feux arbitraires

Sur une côte où chantent des marins morts

 

Passage de la flottille sidérale

J’ai longtemps écouté les chants cadencés des sondeurs

Mais le poids est tombé en des fonds ignorés

Les marins ont oublié la terre et le sommeil qui les engendre

Mon vaisseau s’est échoué sur une plage que défend l’aube abolie

 

Sur les berges d’un fleuve d’oubli

J’ai guetté parmi des compagnons abandonnés du temps

Sous le casque de fer nos visages sont ravagés d’attente

 

L’horizon fictif est immuable

Comme l’éternité d’une destinée arrêtée ici

 

Ô compagnons – sentinelles d’un royaume où commence le rêve

Quels vents venus du désert ont séché sur vos bouches les mots d’espoir ?

Cessez d’inutiles vigiles dans la tour que menace l’ombre

Vassaux des rois morts

Quittez cette contrée de volcans éteints

Traversez les terres intérieures

Des femmes prisonnières du sommeil vous attendent

Du rivage opposé vous contemplerez la mer

Que vos navires n’ont pas su trouver

 

 

 

 

 

 

VENDREDI 13

 

Heure d’attente et soir de pluie

Miroir donné en gage

Vitre brisée à cœur ouvert

Roseraie de rouges-gorges égorgés

Agonie de l’agneau saigné à blanc sur un glacier

Les heures me tressent en secret une couronne de fil de fer barbelé

À l’angle des trois arpents de contreplaqué

D’une nuit intime et sans répit

Je couve le feu sous la cendre des lions

J’attise un brasier de vipères

D’où naîtront les poissons ardents de la destruction

 

Les rapaces rôdent et ma tête tourne

La terre me tourne et me crève les yeux

De toutes parts le gouffre est de Voir

Cette volière d’oiseaux des îles de la nuit

Ces points de feu qui montent en épingle

Une roseraie de rouges-gorges égorgés

Un espalier de vin dans l’ivresse

La jouissance ambiguë des couronnes d’aubépines

Tirée à quatre épingles sur des lits de ronces

Des lits d’ivresse triviale en marge des chemins de croix

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08/11/2013 167 pages 17,00 €
Scannez le code barre 9782070143474
9782070143474
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