#Roman francophone

Une vie moins ordinaire

Baby Halder

La voix de Baby Halder est de celles qu'habituellement l'on n'entend pas. C'est son histoire qu'elle écrit, et le fait même de la mettre en mots est un triomphe sur la pauvreté, la violence et les souffrances qu'elle a subies. Née en Inde dans un village du Jammu, abandonnée par sa mère quand elle était petite, mariée à douze ans, mère de famille à quatorze, elle s'enfuit à Delhi avec ses deux enfants pour échapper à la violence de son mari. Devenue domestique chez de riches citadins, son destin bascule lorsqu'elle travaille chez un professeur à la retraite. C'est lui qui va l'encourager à lire, puis à écrire sa vie. Aujourd'hui, son livre est un best-seller en Inde.

Par Baby Halder
Chez Philippe Picquier

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Genre

Poches Littérature internation

 

 

Jusqu’à l’âge de quatre ans, j’ai vécu dans un village du Jammu avec mon père, ma mère, mes frères et ma sœur. Baba1, mon père, avait un travail là-bas. C’était un endroit magnifique entouré de hautes montagnes et de fleurs de toutes sortes. Quand nous en partîmes, Baba nous emmena à Murshidabad. Peu de temps après, il fut encore transféré à Dalhousie où nous le suivîmes tous. Dalhousie me rappelait beaucoup le Jammu et Cachemire. Les flocons de neige tourbillonnaient dans le ciel comme un essaim d’abeilles avant de venir se poser doucement au sol. Lorsqu’il pleuvait, nous ne pouvions pas quitter la maison et nous restions jouer à l’intérieur, ou nous mettions le nez à la fenêtre pour regarder tomber la pluie. Nous aimions beaucoup Dalhousie, et nous y restâmes assez longtemps. Chaque jour nous allions nous promener. Le simple fait de regarder les fleurs à flanc de coteau nous rendait heureux. Nous inventions toutes sortes de jeux parmi les fleurs, et parfois, un arc-en-ciel venait se cambrer au-dessus des montagnes, remplissant mon cœur de joie.

Quand Baba dut repartir pour Murshidabad où vivait mon vieil oncle, notre Jetha, nous pleurâmes. Baba loua une maison pour la famille, et nous, les enfants, fûmes envoyés à l’école. Puis il nous quitta et repartit pour son travail. Chaque mois, il envoyait de l’argent pour couvrir les dépenses du ménage. Au début, l’argent arrivait régulièrement, mais progressivement, il y eut des intervalles de plusieurs mois. Ma avait du mal à joindre les deux bouts, et comment aurait-il pu en être autrement ? Au bout d’un temps, même les lettres commencèrent à se faire attendre. Ma envoyait message après message mais elle n’obtenait aucune réponse. Et Baba était si loin que Ma ne pouvait même pas aller le voir. Elle était très inquiète, mais malgré tous ses soucis, il n’était pas question que nous arrêtions les études.

Plusieurs années passèrent avant que Baba ne revienne à la maison. Nous fûmes très heureux de le voir. Mais après un mois ou deux, à nouveau, il dut repartir. D’abord, l’argent arriva de manière régulière, puis le même schéma se reproduisit. Ma était tellement en colère et contrariée qu’elle s’en prenait souvent à nous. Elle demanda de l’aide à notre Jetha, mais lui-même avait du mal à s’en sortir avec sa famille. Entre-temps, ma sœur Didi devenait une jeune fille et pour Ma c’était un souci supplémentaire. Elle demanda même de l’aide aux vieux amis de Baba, mais leur situation n’avait rien à envier à la nôtre. Ils firent le peu qu’ils pouvaient, mais cela ne suffisait pas : qui aurait pu supporter le poids d’une famille de plus ? Ma envisagea même de trouver du travail, mais cela aurait impliqué de quitter la maison, ce qu’elle n’avait jamais fait de sa vie. Et d’ailleurs, quel travail aurait-elle bien pu faire ? De plus, elle s’inquiétait beaucoup de ce que les gens racontaient sur nous. Mais ce genre de questions, ça ne remplit pas l’estomac, n’est-ce pas ?

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trad. Nathalie Bourgeau
15/03/2009 279 pages 8,10 €
Scannez le code barre 9782809700886
9782809700886
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