#Roman francophone

Proustissimots. 69 additifs à La Recherche du temps perdu

Jacques Geraud

Il revient ! Qui ? Le fameux narrateur-proustien de la centenaire Recherche, charmant, jeune, traînant sa grand-mère et Maman après soi, fiancé ombrageux d'une demoiselle un peu trop délurée, et désespérément désireux d'écrire ! Et nous voici en terrain connu - ou inconnu ? Car chacun des mots et Métamots coiffant ces 69 additifs, d'Allogène à Zigomars, en passant par Clitorisque, Mamyfestation, Révolverbe ou Rutabagages, enflamme l'imagination de notre héros que l'on verra, d'Eros en Thanatos, allègrement s'ébattre dans des scénarios hallucinés : autant de mirifiques opérations pour extraire, du livre incomparable, ce livre insolite qui ne lui ressemble que pour le métamorphoser.

Par Jacques Geraud
Chez Champ Vallon Editions

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Genre

Littérature française

 

 

 

 

Marcel Proust :

Quel serait votre plus grand malheur ?

Ne pas avoir connu ma mère ni ma grand-mère.

 

Le narrateur à sa grand-mère :

Une fois je lui dis « sans toi je ne pourrais pas vivre ».

 

Nous tuons nos mères.

Nous tuons tout ce qui nous aime.

 

À propos d’Albertine :

Son vice maintenant ne faisait pas de doute pour moi.

 

« Ce qui manque ici, disait le directeur, ce sont les moyens de commotion. »

Il fut ravi de mon refus car il craignait que des clients ne fussent incommodés par l’odeur du « calyptus » .

(le même, au narrateur) : « Faites attention à ne pas vous salir à la porte, car, rapport aux serrures, je l’ai faite “induire” d’huile ; si un employé se permettait de frapper à votre chambre, il serait “roulé” de coups. »

 

Bientôt je pus montrer quelques esquisses. Personne n’y comprit rien.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1. ALLOGÊNE Désagrément occasionné par les appels téléphoniques dans les lieux publics.

 

Je dégotai enfin, tout au bout de la digue, sur un socle en béton précontraint, une cabine dont l’emplacement excentrique devait me garantir la confidentialité, et que je ne serais cause d’aucune allogêne. Mes mains tremblaient tant j’étais impatient d’entendre la voix de Titine, j’étais si nerveux que dix fois d’affilée je fis un mauvais numéro, j’eus au bout du fil des voix mâles, ou criardes, et même une sorte de râle comme si je venais de déranger un agonisant ou une dame sans doute assez proche de jouir et qui, Dieu sait pourquoi, avait décroché à la première sonnerie. Ç’aurait pu être, et ce n’était pas, Titine, à qui le jour de son départ j’avais offert un canard vibrant, dans la candide espérance qu’elle y trouverait son bonheur, au lieu d’aller se faire prendre par des femmes, des hommes, voire des « trans » dont l’engeance, murmurait-on avec des airs apeurés sur la terrasse du Grand-Hôtel, croissait et multipliait, y compris à Balbeach. « Je ne vous dirai pas, me confiait le directeur dans son effarant sabir, que j’en ai en têtu en voilà, il ne faut pas sexagérer, ce n’est pas une épidermie. Mais, tenez, le protonotaire du Mans, qui a l’air si cric, un vrai facteur protestant, je vous dis ça intranos : c’en est un ! En tout cas je sais que dans l’hontimité il s’habille en femme, il se met des porcs-jarretelles, c’est sa femme qui l’y oblige, elle s’habille en homme, elle se met en smoking comme Marie-Hélène de Dietrich, elle lui donne des coups de cravate, elle le fraticelle, il est zébré. C’est Nafi la femme de chambre de l’étage qui me cloporte tout. » Je regrettais, quant à moi, d’avoir tout misé sur le canard, même griffé Rykiel, quand j’eusse été mieux avisé de remettre à Titine, comme un aide de camp la valise atomique au chef de l’État, une mallette avec toute la batterie : la famille Canard au grand complet, la famille Rabbit, et tout un assortiment de ces espèces de matraques fusiformes en plusieurs formats, S, M, L, XL, XXL, droites, galbées, lisses, translucides, colorées, annelées, à tête amovible, bref : de quoi inciter Titine à demeurer dans sa chambre, non point du tout pour y languir dans le morne repos si bien analysé par Pascal (j’avais voulu lui faire lire Les Pensées : en vain), mais pour très activement s’y divertir, sans avoir besoin d’aller courir le billet doux, comme disait le directeur. Et tant pis si cette hubris électrique et vibrante la rendait folle, si même elle devait avoir des convulsions et qu’ensuite on la retrouvât rigide et cadavérique sur son lit, branchée d’un peu partout comme un comateux à l’hôpital, avec autour d’elle, en éventail, comme autant d’impedimenta destinés à l’accompagner, telle une pharaonne, dans son transfert vers l’autre monde, les instruments dont elle aurait usé tour à tour, panoplie qui permettrait à ses parents d’intenter un procès au fabricant, d’une issue d’autant plus douteuse que la mallette létale serait certainement made in China, tant et si bien que la mère et le père éplorés se retourneraient contre moi, qui l’avais offerte à leur malheureuse fille… Et je me voyais déjà condamné à perpète voire à la guillotine, regrettant que le Progrès n’eût pas remplacé nos ancestraux bois de justice par la moderne chaise électrique à l’américaine, dont le modus operandi me mènerait à la même fin que ma pauvre Titine et par des voies, somme toute, apparentées, issues elles aussi des travaux de Franklin, Ampère, Coulomb, Galvani, Volta, Edison, en sorte qu’il serait légitime de nous inhumer ensemble, enlacés, et de cette étreinte post mortem peut-être jaillirait-il une étincelle ultime et sublime qui s’épanouirait en un feu d’artifice, non pas éphémère, comme celui du 14 juillet, mais pérenne, telle une œuvre d’art, déployant au-dessus de notre tombe, jusque très haut dans les airs, électrique féerie, son immense et crépitante corolle dont on pourrait, songeais-je, s’émerveiller au loin, tandis qu’enfermé comme un gros insecte dans la cage de verre de ma cabine excentrique je venais de mettre le téléphone hors d’usage, à force de le secouer comme un furieux, épargnant à quelque promeneur perdu en ce lointain bout de digue la détestable nuisance de l’allogêne.

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03/10/2013 154 pages 15,00 €
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